« Le Grand Paris ne peut se résumer à un projet économique »
Pour Patrick Braouezec, deux conceptions du Grand Paris s’opposent entre les plans des urbanistes et le projet Sarkozy. La ville ne peut croître en créant de nouvelles banlieues toujours plus éloignées du centre. Le débat pose le problème des rapports de pouvoir entre l’État et les collectivités locales.
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Politis : Où en est le projet du Grand Paris ?
Patrick Braouezec : Pour moi comme pour la plupart des acteurs de ce débat, le Grand Paris est une chose en devenir. Un projet et une gouvernance à définir pour la métropole francilienne. Il existe beaucoup de points d’interrogation et, bien sûr, les stratégies et les objectifs diffèrent. Les intérêts ne sont pas les mêmes pour Paris intra-muros, les villes de la petite couronne et les collectivités de la 2e voire de la 3e couronne.
Le Grand Paris a fait l’objet d’une réflexion après l’élection de Bertrand Delanoë en 2001. Je suis persuadé qu’un Grand Paris concentrique incluant les vingt-neuf communes de la première couronne était l’idée première. Les études ont montré que ce n’était ni possible ni souhaitable. Cela allait à l’encontre des objectifs affichés de réduction des inégalités. L’idée du Grand Paris a ensuite été relancée par Nicolas Sarkozy. Son projet : que Paris reste une place financière, économique et touristique de premier rang au niveau européen. Le reste ne l’intéresse pas. On l’a vu au travers du débat sur l’extension du périmètre de l’Epad (Établissement public d’aménagement de La Défense) et la concentration au sein de La Défense des richesses économiques. Mais, en lançant un concours d’idées avec des architectes, il s’est fait prendre à son propre piège car leurs conclusions contredisent sa vision de la métropole francilienne. Aucun d’entre eux ne conçoit celle-ci sans une réduction des inégalités et une politique de solidarité.
Se pose aussi la question de la gouvernance.
Oui. On peut imaginer huit ou dix entités qui auraient un pouvoir décisionnel sur les politiques de transport, de logement et d’habitat, et sur le développement économique et l’environnement. Ce sont à mon avis les quatre enjeux centraux dans la construction de ce Paris métropole. Il est important que chaque citoyen appartienne à une « centralité ». Une extension parisienne à partir d’un seul centre recréerait un nouveau périphérique, avec un dedans et un dehors excluant.
Un nouveau « lieu de bannis » en quelque sorte…
Il faut avoir le sentiment d’appartenir à un endroit qui compte. Notre défi devrait être de penser une ville inclusive. À l’inverse des métropoles dans le monde où l’on ne fait que développer un modèle exclusif avec des zones de riches et des zones de pauvres. Or, dans cette métropole francilienne, toute population doit avoir le droit non seulement à la ville mais aussi à la centralité. Ce qui signifie que tout doit être accessible dans un rayon proche : les équipements publics, le logement, des emplois, des espaces publics de qualité. Il faut aussi penser l’intensité. Comment s’équilibrent ville dense et zones plus aérées. Ce lien est important. Il y a trop de coupures entre les espaces verts, les fleuves et la ville. Il faut intégrer la nature à la ville.
Vous reconnaissez-vous dans les projets de ces architectes, qui ont tout de même des convergences très fortes ?
Ils ont tous pris des axes différents, mais, au bout du compte, ils arrivent à des conclusions convergentes : on ne peut plus continuer l’étalement urbain et penser une extension parisienne radiocentrique. La plupart espèrent une prise de conscience de la question sociale au même titre que la question environnementale. La région Île-de-France est la plus riche d’Europe et elle sécrète le plus grand nombre d’inégalités sociales et territoriales. Et ces inégalités s’aggravent.
Comment un progrès social pourrait-il découler d’un bon projet du Grand Paris ?
Imaginons une gouvernance partagée entre des collectivités du type communautés d’agglomération, la ville de Paris et les départements – à supposer que tout ça existe encore. On pourrait conduire les villes qui le refusent à la construction de logements sociaux. Ou à accepter l’itinéraire d’un tramway qui sert l’intérêt général. Il faudrait une gouvernance qui dépasse les égoïsmes locaux et les pressions des lobbyings. On ne peut plus continuer à financer de la même façon un équipement à Neuilly et à Clichy-sous-bois. Les besoins ne sont pas les mêmes. Il faut étudier des péréquations pour réduire les inégalités réelles.
Le projet de Christian Blanc [^2] semble réducteur, avec ce métro, le Grand 8 [^3]. Est-ce une vision d’extension avec un seul centre ?
Il parle lui aussi de créer plusieurs centres qui s’articuleraient autour des gares. Je ne suis pas forcément opposé au Grand 8 et à son projet de ramification. L’idée de désenclaver Clichy, Montfermeil, Sevran par une ligne de métro rapide qui les relierait à Roissy, la Plaine de Saint-Denis et La Défense est plutôt positive. Cela permettrait un accès plus facile à l’emploi. Mais le Grand 8 tel qu’il est pensé aujourd’hui n’est que la liaison rapide entre des pôles économiques. La stratégie de Christian Blanc est de travailler séparément à Saint-Denis, Cergy-Pontoise, Clichy-Montfermeil ou du côté d’Ivry. Il faut continuer ce travail mais exiger une lisibilité globale. Nous devons tenir compte de ce qui va se passer ailleurs. Nous devons avoir deux exigences : ne plus se contenter des trois ou quatre pôles, l’ensemble du territoire doit être couvert par des options de développement. Le Grand Paris ne peut se résumer à un simple projet économique.
Un projet économique avec une arrière-pensée spéculative ?
Le projet de loi sur le Grand Paris, qui a fait couler beaucoup d’encre, va hélas dans ce sens. Nous sommes prêts à ce que l’État reprenne un peu la main dans cette région Île-de-France, mais en étant un point d’appui aux politiques d’intérêt général, pas le complice des lobbyings.
L’architecte Jean Nouvel demande la démission de Christian Blanc. Que lui reproche-t-il ?
Une désinvolture et un peu de mépris. Jean Nouvel pose notamment un certain nombre de questions sur la façon dont on traite les équipes d’architectes : ils ont fourni un travail considérable et on ne sait pas ce qui advient de ces recherches. Ils ont le sentiment que ce qu’ils ont pu produire sur les questions environnementales et sociales n’a pas été pris en compte et que la seule chose qui intéresse finalement ce gouvernement est la question économique, au sens étroit du terme : comment valoriser la finance ?
Où en est l’hypothèse d’une candidature Braouezec en Île-de-France pour les régionales ? Est-elle toujours virtuelle ?
Elle reste pour le moment éventuelle et virtuelle. Elle a besoin que la direction du Parti communiste la fasse sienne et la fasse partager à des partenaires. Il y a d’autres déclarations de candidatures : Pierre Laurent pour le PC, Jean-Luc Mélenchon pour le Parti de gauche. Supposons un accord avec le NPA, on pourrait avoir Olivier Besancenot. Mais personne ne peut imaginer que toutes ces forces se rallient derrière le chef de file d’un parti. Il faudra donc trouver un centre de gravité à ce rassemblement de front de gauche élargi. Je pense aux Alternatifs, à Alterékolo, à la Fédération, au Forum social des quartiers populaires. J’ai une légitimité de terrain et je me fais le porte-parole d’élus et d’associatifs qui ont travaillé sur les questions du Grand Paris et de la communauté d’agglomération. Ce n’est pas simple de penser le développement économique sans laisser pour compte les plus pauvres. C’est actuellement un objectif qu’on se fixe dans la communauté d’agglomération. Comment en faire un objectif régional ? L’Île-de-France peut être un lieu institutionnel de résistance à Nicolas Sarkozy, et proposer une alternative réelle dans la vie des gens.
Comment vous situez-vous dans le débat stratégique au sein du Parti communiste ?
Mon choix est clair depuis longtemps : je suis pour une indépendance vis-à-vis du PS ; je suis pour la construction d’un rassemblement d’alternatives sociales et écologistes, du type Die Linke, sans abandonner les partis existants. Il y a, au sein du PC, une culture identitaire du repli qui est très forte. Nous sommes face au défi de remobiliser l’électorat populaire. Dans certains quartiers, à peine 20 % des électeurs se sont déplacés lors des partielles. J’ai peur que le choix du Front de gauche élargi s’arrête en chemin et que le PC entre dans une nouvelle étape de son déclin.
[^2]: Secrétaire d’État au Développement de la Région capitale.
[^3]: Le projet de métro qui relierait sept territoires de développement considérés comme majeurs et un huitième pôle, dit d’excellence, Le Bourget, qui serait consacré notamment aux industries aérospatiales.