Le prix du carbone
Les arbitrages du président de la République sur la « taxe carbone » ont largement été critiqués, à la fois sur son assiette, sa valeur initiale, le flou qui règne sur sa future progression, l’emploi de son produit et les clés de la redistribution envisagée. En revanche, les justifications sur le choix de la valeur initiale de la taxe
– 17 euros la tonne de CO2 émise – n’ont guère été commentées, ni par les politiques ni par les économistes. Or, explique Nicolas Sarkozy, c’est parce que cette valeur représentait la moyenne en 2008 du cours de la bourse européenne des quotas d’émission de CO2, qui a connu des fluctuations considérables (de 1 à 10 !) au cours de la période. Pourquoi une telle référence ? Par souci d’équité, nous dit-on : pourquoi les ménages ou les entreprises non soumis aux quotas d’émission de CO2 seraient plus taxés que les industries qui y sont soumises ? C’est évidemment un argument de poids pour les politiques de la majorité chargés d’expliquer cette décision sur le terrain. Pourtant, on est pris d’un premier doute : ne compare-t-on pas des choux et des carottes ?
Depuis 2005, les industries les plus émettrices de l’Union européenne
– cimenteries, sidérurgie, papeterie, etc. – doivent respecter des quotas d’émission de CO2 alloués par les États membres. Ainsi, pour la période 2008-2012, les quotas d’émission représentent 98 %, en moyenne annuelle, des émissions vérifiées au cours de la période 2005-2007, qui sert de référence. C’est-à-dire qu’un industriel qui émettait 100 tonnes de CO2 en 2007 se voit allouer 98 tonnes en quotas d’émission annuelle pour 2008-2012. Si ses émissions dépassent ce plafond (en moyenne), il devra acheter des quotas d’émissions (1 par tonne de CO2) à la bourse européenne du CO2 dédiée à ce marché, auprès d’un autre industriel qui sera parvenu à réduire ses émissions en deçà de son plafond de quotas.
À activité constante, on constate que notre premier industriel n’aura que quelques quotas à acquérir. S’il ne fait aucun effort d’économies d’émissions, son coût annuel sera grevé de 34 euros (100-98 = 2 tonnes, à 17 euros en moyenne en 2008). Comme les quotas sont alloués gratuitement par les États, le coût moyen à la tonne, pour cet industriel, ne sera que de 34 euros pour 100 tonnes, soit 0,34 euro la tonne !
Aucun rapport donc avec la taxe qui va frapper le consommateur à hauteur de 17 euros dès la première tonne émise ! Les bons esprits rétorquent qu’à partir de 2013, les quotas pourraient être alloués aux entreprises par mise aux enchères, mais on sait déjà que cela ne concernera que moins de la moitié des entreprises. De plus, rien ne garantit que le prix défini par ces enchères soit identique à celui de la bourse telle qu’elle fonctionne aujourd’hui.
Mais il y a plus préoccupant ! En s’engageant dans une politique de quotas d’émission échangeables, l’Europe s’est donné une obligation de résultats quantitatifs d’économie de CO2, en laissant au marché le soin de définir à un instant donné la valeur financière de la tonne évitée.
En décidant d’une taxe carbone pour les usagers, la France prend une option différente : une obligation de moyens définie par le montant financier de la tonne de CO2, mais c’est la conjoncture socio-économique qui déterminera les quantités réellement évitées. Comment justifier, dès lors, d’accrocher le coût de la taxe à la valeur du marché et, pire, d’une bourse coutumière de phénomènes amplificateurs : les quotas déterminent indirectement un coût du carbone qu’on prétend incitatif pour les consommateurs, bien que les quantités et les qualités des produits auxquels s’appliquent quotas et taxes soient très différentes.
On peut donc anticiper les difficultés du gouvernement pour faire évoluer sans à-coup une taxe carbone liée, dans l’esprit des partenaires sociaux et des entreprises, à la bourse du carbone et à ses fluctuations. On est bien loin du signal constamment croissant considéré comme indispensable par le rapport Rocard pour inciter à une réduction sérieuse d’émissions.
Plus largement, on ne peut que s’inquiéter de voir une politique publique se mettre délibérément, pour la première fois semble-t-il, à la remorque du marché, et dans son expression actuellement la plus contestée, les marchés financiers.
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