Match retour en Irlande

Les Irlandais revotent sur le traité de Lisbonne. Céderont-ils au chantage des partisans du « oui » ?

Manon Loubet  • 1 octobre 2009 abonné·es

Quinze mois après avoir rejeté le traité de Lisbonne, les Irlandais sont sommés de se déjuger. Ce qui ne va pas sans résistances. Sur les lampadaires, les poteaux, les bus et les murs de Dublin, des milliers d’affiches et de slogans s’entremêlent. « L’Irlande a besoin de l’Europe », « Lisbonne = moins de pouvoir à l’UE » , « Votez non pour le travail » , « Nous sommes meilleurs ensemble, votez oui » , « Lisbonne va te faire du mal » , « Comme les Français et les Néerlandais, votez non ! » … À chaque coin de rue, des militants distribuent des tracts vantant le « oui » ou le « non » au nouveau référendum. « Avez-vous déjà décidé votre vote pour le 2 octobre ? », demande Laurence, un militant de Campaign Against the European Union Constitution (CAEUC) à une jeune femme. « Non, pas encore », répond-elle. Dans les sondages, le « oui » est en tête, mais le nombre d’indécis ne cesse de gonfler, rendant toute prévision du résultat difficile.

La quasi-totalité des partis irlandais soutiennent le « oui », du Fianna Fail, parti de centre-droit du Premier ­ministre Brian Cowen, au Fine Gael (centre-gauche), principal parti d’opposition. « Si l’Irlande dit non, c’est comme nous tirer une balle dans le pied, s’enflamme le Premier mi­nistre. Nous ne ferons plus parti du projet européen. » Inquiets d’un second refus du traité, les partisans du « oui » ne semblent pas comprendre les arguments des nonistes. Pour eux, l’Union européenne a déjà reculé sur les quatre points dérangeants du traité rejeté en juin 2008 : la neutralité militaire, la faible imposition sur les entreprises qui a permis le décollage du « Tigre celtique », la protection du droit à la vie pour les opposants à l’avortement et le maintien d’un commissaire irlandais au Conseil européen. « Je ne vois pas pourquoi on voterait non alors que l’UE a accepté toutes nos demandes de modifications du traité, proteste une militante de Generation Yes, un regroupement de jeunes citoyens. Et n’oublions pas que c’est l’Europe qui nous a sortis de la misère. »

Venu persuader les opposants, José Manuel Barroso, président de la Commission européenne, s’est livré à un chantage : « La seule façon pour l’Irlande de s’assurer qu’elle aura toujours un commissaire est de voter oui au traité de Lisbonne. Dans le cas contraire, bien entendu, nous devrions réduire le nombre de commissaires », a-t-il mis en garde. Avant d’ajouter, se tournant vers les entrepreneurs : «  Pour la confiance des investisseurs, il est important que l’avenir de l’Irlande dans l’UE soit certain. »
De l’extrême gauche, avec le Sinn Fein et le Socialist Party, jusqu’à l’extrême droite avec le regroupement Coir, les militants du « non » sont révoltés. Ceux d’extrême gauche refusent une Europe commerciale, militaire et non démocratique : «  Lorsqu’on refait voter un peuple sur un texte à 100 % identique à celui sur lequel il vient de s’exprimer, c’est une entorse à la démocratie, affirme Laurence. Nous avons déjà dit non à ce texte. Pourquoi nous redemander ? » Le Sinn Féin réfute les garanties avancées par l’UE : « Les modifications apportées au traité ne correspondent pas du tout à nos revendications. Nous voulons une Europe sociale, et non une Europe commerciale qui préfère la marchandise à ses citoyens. »

Les nonistes insistent aussi sur ce qu’ils appellent « les mensonges des partisans du “oui” » : « On croirait qu’il faut voter oui pour ne pas contrarier nos partenaires européens afin que la Banque centrale européenne continue à nous donner de l’argent. Mais nous coupera-t-elle réellement les vivres si nous votons non une seconde fois ? Les raisons qui pousseraient à voter oui sont en train de devenir du chantage, et rien d’autre » , affirme Vincent Browne, journaliste au Sunday Business Post. Quant à l’association conservatrice Coir, elle multiplie affiches et slogans tape à l’œil : « 1,84 euro de salaire minimum » , « Ils veulent notre liberté, ne la jetez pas ! » avec des photos de héros historiques à l’appui, ou « Protégeons la vie » en référence à l’avortement…
Avec la crise économique qui balaie l’île et l’impopularité du gouvernement de Brian Cowen, il n’est vraiment pas certain que les Irlandais votent oui le 2 octobre.

Monde
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