Qui veut la guerre ?
dans l’hebdo N° 1071 Acheter ce numéro
Sans doute le rendez-vous de Genève, la semaine dernière, entre « les six » et l’Iran, a-t-il provisoirement calmé les esprits. En acceptant de confier l’enrichissement de son uranium à un pays tiers (qui pourrait être la France ou la Russie), Téhéran a donné d’apparents signes de bonne volonté. Selon le calendrier établi, l’Iran, les États-Unis, la France et la Russie pourraient se retrouver dès le 19 octobre pour examiner les modalités pratiques de ce deal original. Sans entrer dans des détails techniques
– qui d’ailleurs nous échappent –, il s’agirait de laisser le soin à la Russie d’enrichir des stocks d’uranium iranien avant que la France (dont le savoir-faire en ce domaine fait notre fierté) ne les transforme en combustible pour un réacteur qui serait contrôlé par l’Agence internationale de l’énergie atomique (AIEA). La communauté internationale pourrait ainsi veiller à ce que les seuils d’enrichissement ne permettent pas de fabriquer une bombe atomique. Nous voilà donc rassurés. Mais il y a mieux.
Cette histoire de chaîne de solidarité nucléaire devient presque émouvante quand on sait que le réacteur iranien serait destiné à produire des isotopes médicaux pour des malades atteints de cancer. Non seulement nous ne sommes plus dans les armes de destruction massive, mais nous basculons dans l’humanitaire. Et ce n’est pas tout ! Le 25 octobre, le directeur de l’AIEA, Mohamed El Baradei, qui depuis des années visite les sites nucléaires comme d’autres arpentent les musées, sera autorisé à se rendre sur le nouveau site d’enrichissement d’uranium de Qom. Preuve supplémentaire du libéralisme des mollahs.
Un pays qui ne croit pas à la fable de cette coopération avec l’Iran, c’est évidemment Israël. On imagine d’ailleurs que personne n’y croit vraiment. Mais est-ce le problème ? Il ne fait aucun doute que l’Iran rêve de sa bombe. Et que le régime souffle le chaud et le froid afin de desserrer, de temps à autre, une pression qui s’exerce trop fortement. Dans ce bal international des hypocrites, tout le monde ment. L’Iran de M. Ahmadinejad, sans aucun doute. Ceux qui feignent de le croire, comme les États-Unis, la Russie, la Chine, aussi. Mais tout autant Israël, dont les responsables font mine de croire à une menace iranienne qui n’est pas crédible. Car, quand bien même l’Iran disposerait de sa bombe, il ne pourrait rivaliser avec la puissance de feu israélienne – la troisième ou quatrième au monde, soutenue qui plus est par les États-Unis et les deux principales puissances nucléaires européennes, la France et la Grande-Bretagne. Le discours israélien, auquel les dirigeants israéliens ne croient évidemment pas eux-mêmes, repose sur l’idée que l’Iran est un pays de fous qui s’empresserait de faire usage de son arme toute neuve. Il faudrait pour cela que les responsables iraniens veuillent l’anéantissement immédiat de leur propre territoire. Comme l’analyse fort justement l’historien Shlomo Sand, l’Iran joue simplement le rôle de l’idiot utile ou de l’ennemi nécessaire dont Israël a ontologiquement besoin depuis toujours. La communication israélienne se doit d’entretenir cette perpétuelle menace existentielle. Et il en ira ainsi tant que ce pays n’aura pas admis l’existence d’un État palestinien souverain, n’aura pas renoncé à son rêve d’expansion jusqu’au Jourdain, et n’aura pas ainsi pacifié définitivement ses relations avec le monde arabo-musulman. Ce n’est pas en préparant une opération militaire qu’Israël neutralisera l’Iran, mais en ôtant au démagogue Ahmadinejad la cause palestinienne, que celui-ci se plaît à instrumentaliser.
Si bien que, dans l’immédiat, si quelqu’un menace la paix du monde, c’est en premier lieu M. Nétanyahou. Dans un récent article du quotidien israélien Haaretz , le journaliste Ari Shavit parlait – en l’approuvant – d’une véritable « croisade » du Premier ministre israélien en faveur d’une guerre contre l’Iran [^2]. Chacun peut imaginer comment ce gouvernement d’extrême droite exploiterait la confusion qui régnerait dans la région. Voir l’hypothèse
– parfaitement crédible, hélas – avancée par Shlomo Sand. Avec Benyamin Nétanyahou, un autre chef d’État plaide de façon à peine moins bruyante pour la guerre ; c’est Nicolas Sarkozy. Les boutefeux auraient pourtant une façon bien simple de désamorcer réellement la bombe iranienne, sans provoquer une nouvelle apocalypse au milieu des gisements de pétrole, ce serait de prôner la dénucléarisation générale. Il faudrait pour cela commencer par autoriser ce brave M. El Baradei à visiter Israël sans entraves (un très beau pays par ailleurs). Le vœu émis, le 4 juin au Caire, par Barack Obama d’un démantèlement de toutes les armes nucléaires cesserait ainsi d’être pieux. Mais nous sommes loin de la réalisation de ce rêve étonnamment pacifiste.
Nous vivons sous la menace d’un ultimatum israélien que résume fort bien le politologue Efraïm Inbar, directeur du centre d’études stratégiques de l’université Bar Ilan : « Les Israéliens donnent sa chance à Obama. Ils vont attendre fin 2009 avant de réévaluer la situation. » Fin 2009, précisément, tout Gaza commémorera la disparition, un an plus tôt, des mille quatre cents victimes des bombardements israéliens. Un crime massif que dénonçait récemment la commission des Nations unies présidée par le juge sud-africain Richard Goldstone, dont le rapport vient d’être discrètement enterré… par l’administration Obama. Si le président américain veut vraiment éviter une nouvelle guerre, il ne devrait pas commencer par absoudre les crimes passés.
[^2]: Article reproduit et traduit par Courrier international du 1er octobre.
Une analyse au cordeau, et toujours pédagogique, des grandes questions internationales et politiques qui font l’actualité.