Un plan vert… qui booste les camions
Dans le cadre du Grenelle de l’environnement, le gouvernement a présenté un plan pour relancer le transport ferroviaire. Mais les engagements débouchent sur le tout-routier.
dans l’hebdo N° 1072 Acheter ce numéro
Annoncé en grande pompe par le ministre de l’Écologie, Jean-Louis Borloo, lors du conseil des ministres du 16 septembre, « l’engagement national pour le fret ferroviaire » n’a séduit aucune des organisations syndicales (CGT, CFDT et CFE-CGC), ni les associations d’usagers des transports (Fnaut) et de défense de l’environnement (Réseau action climat, WWF et France Nature environnement, Amis de la terre), qui ont, fait rare, travaillé ensemble sur la politique des transports lors du Grenelle de l’environnement. Elles parlent même de choix à « contresens ».
Pourtant, le plan gouvernemental a belle allure. L’objectif premier est de sauver le transport ferroviaire de marchandises (le fret) pour lutter contre le réchauffement climatique. La part du fret ferroviaire est en effet passée de 42 % en 1984 à seulement 14 % en 2007, alors que le secteur est entre les mains de la concurrence libre et non faussée, et qu’on pouvait en attendre des miracles. La libéralisation du fret ferroviaire en 2006 a même fragilisé la SNCF, qui accumule les déficits au profit de nouveaux opérateurs comme EurocargoRail (Deutsche Bahn) ou Colas Rail (Bouygues).
Le « grand engagement national » de l’État veut donc redonner du lustre au rail en portant la part des transports de marchandises alternatifs à la route « de 14 % à 25 % à l’horizon 2022 ». Avec la promesse de contribuer, à terme, à « une réduction annuelle de plus de 2 millions du nombre de trajets de poids lourds sur les routes françaises, et de plus de 2 millions de tonnes des émissions de CO2 » . Pour donner du poids à ces engagements en faveur du fret ferroviaire, Jean-Louis Borloo a annoncé un « investissement public global » de plus de 7 milliards d’euros, « en complément des engagements » du Grenelle de l’environnement et du « contrat de performance de RFF [Réseau ferré de France, chargé de l’entretien et du développement des voies et équipements] d e 13 milliards d’euros ».
« Encore faut-il que ce financement soit confirmé concrètement, ce qui, à ce jour, est loin d’être le cas » , grognent les syndicalistes, usagers et environnementalistes, qui relèvent que « certains choix restent incohérents avec les décisions prises lors du Grenelle. Ainsi, l’État comme des collectivités territoriales n’infléchissent pas leurs programmes routiers et autoroutiers, concurrents des investissements ferroviaires, à hauteur des ruptures annoncées ».
Les critiques soulignent en particulier le « quasi-abandon du fret ferroviaire de proximité » , une technique dite de « wagon isolé » qui permet de transporter des quantités limitées pour un client. Indispensable au développement économique et écologique, ce service public a été qualifié « d’activité non pertinente » dans un audit. « Si cette activité est abandonnée, cela représente près de 10 milliards de tonnes kilomètre pour l’année 2008 (l’équivalent de plus de 2 millions de poids lourds !) soit plus de 25 % de l’activité de fret ferroviaire » , s’indignent le Réseau action climat et les Amis de la terre.
Paradoxalement, le plan vert de Borloo devrait booster la politique du tout-routier. Le ministre s’est en effet engagé à investir dans les infrastructures à condition que la SNCF renonce à ses activités non rentables. Ainsi, une réforme de l’activité, destinée à réduire une dette qui a dépassé les 30 milliards d’euros en 2008, devrait se traduire par la suppression de 5 000 à 6 000 emplois, selon la CGT. « On va concentrer notre trafic sur des dessertes avec au moins trois allers-retours par semaine, ce sera du transport massifié au détriment du “wagon isolé”, qui est du super-sur-mesure mais qui nous fait perdre trop d’argent » , explique François Nogué, directeur des relations humaines de la SNCF.
Pour faire avaler la pilule, Jean-Louis Borloo a fait miroiter le 16 septembre des projets pharaoniques, comme le contournement des grandes villes, la création d’autoroutes ferroviaires (camions sur des trains longue distance comme le Luxembourg-Perpignan), des « TGV fret », de meilleures dessertes des ports et… l’abandon des « wagons isolés » au profit d’opérateurs « ferroviaires de proximité privés » qui ne sont pas encore nés. Une chose est sûre : le plan s’oriente vers une course à la privatisation qui sera fortement subventionnée par l’État.