Accouchement climatique

Hélène Crié-Wiesner  • 26 novembre 2009 abonné·es

Les Américains iront tout nus au sommet de Copenhague sur le climat : leur Congrès n’aura pas eu le temps de voter la fameuse loi sur l’énergie et le climat qu’Obama et les environnementalistes de son pays auraient tant voulu brandir à la face du monde comme symbole de leur changement d’attitude.

Ils participeront certes aux négociations, disputeront comme tous les autres la moindre virgule du compromis et signeront peut-être même l’accord final, s’il y en a un. Mais, pour espérer peser sérieusement sur les discussions, il faudrait déjà que les États-Unis soient capables d’adopter chez eux des limites d’émission.

Arriver à Copenhague avec une loi intérieure fixant des objectifs précis de réduction de CO2 en même temps que les instruments économiques pour y parvenir aurait eu de la gueule. C’est raté. La faute au débat sans fin sur la réforme de l’assurance-santé, qui a vu une partie des Américains basculer dans l’hystérie profonde, jusqu’à traiter Obama d’Hitler et qualifier de « tribunal de la mort » son projet « socialiste » de couverture médicale publique. Allez demander à des élus harcelés et menacés de non-réélection s’ils votent ça de se pencher en même temps sur un autre sujet tout aussi polémique… Polémiques, les changements climatiques ? Hélas oui, toujours. Les ultras de la droite persistent à nier la réalité scientifique, et cette thèse négationniste a des millions de croyants. Mais le problème réside moins dans la reconnaissance du phénomène que dans les moyens d’y remédier en tant qu’Américain. Cette dimension patriotique est très importante aux États-Unis, consubstantielle à tout débat national doté d’un enjeu international.

Parmi ceux qui reconnaissent la nécessité de faire baisser les émissions de carbone, il y a bien sûr les environnementalistes qui veulent sauver la planète. Qu’ils soient des « Khmers verts » refusant tout compromis avec l’industrie ou bien des réalistes dans la lignée d’Al Gore, prônant une « révolution verte » vigoureuse mais respectueuse des règles du marché, tous ces écolos s’estiment couverts de honte par l’attitude de leur pays sur la scène internationale depuis vingt ans.

Et puis il y a ceux qui admettent la nécessité diplomatique et/ou scientifique de cette loi Énergie-Climat mais entendent préserver d’abord les intérêts économiques du pays. Pourquoi se tirer une balle dans le pied en renchérissant le prix des produits américains – ce qui arrivera forcément en fixant des quotas d’émission aux entreprises ? On entend le même argument depuis vingt ans, il est encore plus fort aujourd’hui : les États-Unis ont sombré, le chômage y est terrible, et les « valeurs américaines » de libre entreprise sont menacées par l’attitude interventionniste du gouvernement Obama.
Impossible, dans ce contexte de crise économique, de taper sur les entreprises pollueuses sans que leurs ouvriers (américains) ne se sentent un minimum solidaires de leurs patrons. Impossible de condamner l’extraction et l’usage du charbon quand tant de familles (américaines) dépendent de cette industrie pour vivre. Impossible de refuser, au nom de la seule préservation de la nature, les autorisations de forer pour extraire du gaz et du pétrole (américains) sans se faire accuser de maintenir la dépendance énergétique envers les pays arabes (qui financent Al-Qaïda) ou le Venezuela. Difficile de s’opposer à la relance du nucléaire pour les mêmes raisons… Surtout quand les Français, qui tirent 80 % de leur électricité de l’atome, se posent en chevaliers blancs de l’énergie face aux États-Unis.

À force d’obstination, les démocrates ont tout de même réussi à faire en sorte que les auditions par la commission Environnement débutent fin octobre : scientifiques, lobbyistes, businessmen, associatifs et membres du gouvernement sont en train de défiler pour apporter leur « témoignage ». À ceux qui penseraient que cette vision égoïste des problèmes planétaires est un défaut réservé aux citoyens des États-Unis, je signale que les cris d’orfraie des Français (de droite et de gauche) face à la taxe carbone ont fort choqué les écologistes américains. C’est parfois dur de comprendre les réalités de la vie d’un autre pays que le sien !

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