La chute et la liberté
dans l’hebdo N° 1077 Acheter ce numéro
Rapt commence par quelques scènes rapides, liées par la musique scandée de Riccardo del Fra, où apparaît un quadragénaire séduisant, président d’une très grande entreprise industrielle, déjeunant avec des ministres, ayant des rendez-vous galants l’après-midi et perdant de grosses sommes d’argent le soir au poker. La caméra essaie de saisir Stanislas Graff au vol, homme pressé, virevoltant, insouciant. Exposition impeccable de sobriété.
Puis on entre dans le cinéma de genre, comme Lucas Belvaux, l’auteur d’une fameuse trilogie ( Un couple épatant, Cavale, Après la vie ) et de ce polar social qu’est la Raison du plus faible , l’affectionne. Attaque à main armée de la voiture du « président », enlèvement, mutilation du doigt. Tandis que se développe le face-à-face entre Graff et ses ravisseurs, suffisamment violent physiquement et moralement pour que le spectateur ressente le traumatisme, mais aussi stylisé pour éviter la complaisance, le film raconte en parallèle ce qui se déroule à l’extérieur : les réactions de la famille, la question de la rançon, le travail de la police, l’emballement médiatique.
Rapt sort du genre, pour devenir un film total, qui multiplie les pistes de récits, montre les différents intérêts à l’œuvre alors que se joue la vie d’un homme, et jongle avec un grand nombre de personnages, donc de comédiens. Au centre, Yvan Attal. Ultra-convaincant. Il réussit à mêler l’arrogance et la fragilité, une grande tenue et une terrible fêlure, les 20 kg perdus pour le rôle n’étant qu’un signe de l’implication de l’acteur dans son personnage. Les scènes finales où, après être sorti d’un cachot maudit, Graff tombe dans un nouveau puits de souffrances, constituent le point d’orgue émotionnel d’un film qui s’interdit le pathos. Avec de la glace – la raideur des grands bourgeois, le cynisme des hommes d’affaires, l’intransigeance des malfrats… –, Lucas Belvaux parvient à faire du feu, et à mettre à nu une part d’humanité.
Rapt est aussi un grand film de mise en scène, parce qu’il pense la place du spectateur sans jamais la lui assigner. C’est, au cinéma, une certaine idée de la liberté.