La contre-révolution Sarkozy
La réforme des collectivités territoriales remet à plat toute l’organisation institutionnelle de la France. En affaiblissant le rôle des élus, elle aura des conséquences sur le quotidien des citoyens. D’où l’importance de s’emparer de ce débat crucial.
dans l’hebdo N° 1077 Acheter ce numéro
La réforme des collectivités territoriales initiée par le chef de l’État n’est pas une mince affaire. L’ambition de ce grand chantier présidentiel n’est rien d’autre que la modification profonde des pouvoirs locaux dans notre pays. En soi, cela justifie que l’on prenne le temps d’examiner les propositions mises sur la table et que l’on en débatte. Et il y a de quoi. Car il apparaît vite, à la lecture des différents projets de loi, que Nicolas Sarkozy remet à plat rien de moins que l’organisation institutionnelle de la France. Une organisation héritée de notre histoire démocratique, avec ses 36 000 communes où s’est enracinée la démocratie, ses 96 départements métropolitains et ses 22 régions.
Ce serait une erreur de croire que cette réorganisation ne touchera que les élus. Non sans habileté ni démagogie, la communication présidentielle tend à nous le faire croire, en insistant sur la diminution de moitié du nombre d’élus territoriaux, présentée comme une mesure d’économie, et l’introduction du scrutin uninominal à un tour. Même Martine Aubry s’y est laissée prendre, qui déclarait en septembre, devant le conseil national de son parti, que le « seul objectif » de cette « soi-disant réforme territoriale » était « de changer le mode de scrutin pour leur permettre de gagner au tapis vert ce qu’ils n’arrivent pas à avoir dans les urnes ».
Alors, certes, les élus sont, aujourd’hui, les premiers opposants au projet.
Chacun a pu le mesurer encore cette semaine à l’occasion du congrès de l’Association des maires de France, que le président de la République – courage, fuyons – a préféré snober. Il y a quelques jours déjà, l’Association des petites villes de France (APVF), qui fédère 1 100 villes de 3 000 à 20 000 habitants, a appelé à la « mobilisation générale » des maires face au projet de réforme territoriale du gouvernement. C’est toutefois du côté des grands élus que se recrutent, y compris à gauche, les défenseurs du projet. Après la présentation de la réforme par Nicolas Sarkozy à Saint-Dizier, le 20 octobre, le député-maire socialiste de Grenoble, Michel Destot, qui préside l’Association des maires de grandes villes de France (AMGVF), s’est ainsi « réjoui que ses propositions portées dans le cadre du débat sur la réforme territoriale aient été reprises par le président de la République, dont les propos constituent une reconnaissance réelle du fait urbain ».
Les citoyens, quant à eux, seraient bien inspirés de se souvenir que les affaires publiques sont les affaires de tous. Et que la réorganisation territoriale et institutionnelle de la République ne sera pas sans effet sur leur quotidien. La suppression de la « clause générale de compétences » des régions et des départements signifierait, pour le département, la fin des aides en direction des communes, des associations, du sport, de l’économie, de l’agriculture, du tourisme, de l’environnement, de la culture. Excusez du peu. Ce n’est pourtant que l’un des bouleversements majeurs entraînés par la réforme.
Quatre principes au moins semblent la caractériser : une régression démocratique avec l’affaiblissement de la démocratie locale et l’éloignement des centres de décision par transfert des compétences depuis les communes vers les métropoles ou les communes nouvelles, sans transfert équivalent et durable de ressources ; une centralisation féodale symbolisée par les pouvoirs coercitifs donnés aux préfets en matière d’intercommunalité ; la limitation de l’intervention publique sous l’effet conjoint de la suppression de cette fameuse clause générale de compétence et de l’assèchement des ressources financières des collectivités territoriales ; la mise en concurrence exacerbée des territoires. Ces deux derniers points seront sans doute les plus lourds de conséquence. Car l’objectif de la réforme n’est pas tant de recentraliser que d’ « adapter notre territoire aux réalités de la mondialisation et de l’économie contemporaine » , comme l’avoue sans détour Nicolas Sarkozy. La recentralisation n’est là que pour contraindre des contre-pouvoirs rétifs à se plier à cette adaptation.
De la même manière qu’il affaiblit l’État en diminuant ses ressources, le pouvoir Sarkozy veut des collectivités locales faibles. Qui, faute de pouvoir soutenir l’investissement public au niveau actuel, seraient contraintes de s’en remettre à des partenariats public-privé. Et devraient déléguer la gestion de leurs services publics à des entreprises privées. Ces objectifs dessinent non une réforme qui servirait l’intérêt général mais une contre-révolution au service de quelques puissances économiques.