La folie Shakespeare

En ce moment, il y a une véritable folie autour de la Nuit des rois de Shakespeare. Trois visions de cette pièce sont à l’affiche, toutes dans le texte français de Jean-Michel Déprats – ce qui confirme que le responsable de l’édition de Shakespeare dans la Pléiade est devenu le meilleur traducteur du grand Will. Nous n’avons pu voir le spectacle de Jean-Louis Benoît dans sa Criée de Marseille, des problèmes d’amiante dans la grande salle ayant bouleversé le calendrier des représentations. Le spectacle se joue finalement pour quelques jours dans une plus petite salle, et la troupe, avec des comédiens de grande allure (Nathalie Richard, Dominique Valadié, Ninon Brétécher, Jean-Claude Leguay, Jean-Pol Dubois), va entamer sa tournée, en commençant par Angers. Les deux autres réalisations sont très différentes l’une de l’autre.

Dans le spectacle créé au théâtre de Carouge, à Genève, et visible actuellement à Sceaux, Jacques Vincey s’intéresse moins au jeu de la comédie qu’à tout ce qu’elle cache. La pièce fonctionne sur un quiproquo sexuel. Une comtesse tombe folle d’amour pour un messager venu lui présenter les hommages d’un duc fort épris d’elle. Or ce messager est en réalité une femme travestie. La comtesse est donc amoureuse, sans le savoir, d’une autre femme. Mais la version masculine de cette fille déguisée existe puisque la jeune femme a un frère jumeau, lequel entre dans la danse et complique ce qui n’était pas simple. Jusqu’à un dénouement où tout s’arrange dans le respect de ce qu’on appelle les bonnes mœurs.

Vincey fuit la joliesse et va là où ça grince. La soirée se déroule dans un décor en étage, où les acteurs sont comme derrière une vitrine, et autour de ce décor un peu glauque. Elle est jouée par des acteurs déjantés qui évoquent plutôt la jeunesse du film Quatre Mariages et un enterrement que la société codée du monde élisabéthain. Mais la charge piétine et ne trouve sa vitesse moqueuse que dans la seconde partie, joyeusement tirée à hue et à dia par les meilleurs de ses comédiens, Cécile Camp, Roland Vouilloz, Luc-Antoine Diquero, Jean-Damien Barbin.

Au théâtre Comédia, Nicolas Briançon ne respecte pas davantage le cadre historique. Il situe ce carrousel d’états d’âme, d’extases et de fureurs dans des années 1930 de fantaisie, rejoignant bien l’idée d’Illyrie imaginaire de Shakespeare. Là, les arrière-plans sexuels et politiques comptent moins que la quête de la grâce et le fonctionnement de la comédie. Sara Giraudeau, à qui incombe le rôle de la jeune fille habillée en homme, est le point faible de la soirée : elle s’amuse de son rôle au lieu de l’explorer. Mais, avec elle, quelle équipe d’acteurs, comme faite de marins soudards qui tangueraient sans tomber dans les tempêtes ! Henri Courseaux, Yves Pignot, Jean-Paul Bordes sont de grands clowns, tandis que Chloé Lambert dessine une éclatante comtesse saisie par la passion.