La grande braderie des droits sociaux
Le collectif Éthique sur l’étiquette met en lumière les pratiques irresponsables de la grande
distribution. Et lance une nouvelle campagne d’interpellation pour la défense des droits humains fondamentaux.
dans l’hebdo N° 1077 Acheter ce numéro
En pleine crise du lait, la Confédération paysanne avait protesté contre « les marges extravagantes réalisées sur le dos des producteurs par la grande distribution » . Ces derniers mois ont apporté une nouvelle fois la preuve de « la puissance du lobby de la grande distribution, de l’opacité [de ces distributeurs] en matière de communication et du pouvoir de négociation démesuré qu’ils possèdent par rapport à leurs fournisseurs », souligne une récente étude du cabinet Syndex [^2], réalisée pour le compte du collectif Éthique sur l’étiquette, qui a lancé une campagne « Droits des travailleurs… Liquidation totale ? ».
L’analyse par Syndex de quatre géants (Auchan, Carrefour, Casino et Leclerc) met en lumière l’évolution d’un modèle libéral et productiviste : les éléments recueillis indiquent que « les systèmes de management de la qualité sociale mis en place par ces entreprises géantes restent dérisoires au regard des enjeux concernés » . Et « ces dispositifs minimalistes de gestion de la qualité sociale […] restent construits sur une politique essentiellement défensive par rapport au risque de scandale que des ONG pourraient déclencher à leur encontre ».
Dans tous les secteurs, particulièrement celui de l’habillement, important pourvoyeur de main-d’œuvre, la grande distribution est montrée du doigt dans sa course « contre la vie chère » . Comment vendre, comme le propose Carrefour, un lot de deux paires de jeans à 10 euros en conservant ses marges ? « La réponse offre peu de raisons de “positiver”. Ces prix toujours plus bas sont largement acquis aux dépens des droits des travailleurs des milliers d’ateliers de misère qui ont essaimé de la Turquie à la Chine en passant par le sous-continent indien et l’Asie du Sud-Est » , répond le collectif Éthique sur l’étiquette.
Loin de s’améliorer, les problèmes s’aggravent dans les filières d’approvisionnement en vêtements des enseignes de la grande distribution, indique aussi le récent rapport d’enquête du réseau international Clean Clothes Campaign, révélant le revers du succès financier, non démenti malgré la crise économique, de ces multinationales [[Cash ! Pratiques d’approvisionnement de la grande distribution et conditions de travail dans l’industrie de l’habillement, 2009. Téléchargeable gratuitement (]). « Nous devons travailler de 9 heures du matin à 1 heure du matin. Nous ne pouvons pas choisir de travailler uniquement la journée ou la nuit. C’est un travail d’une journée complète. Chaque mois, nous devons effectuer trente jours de travail comme celui-ci » , affirme une travailleuse chez un fournisseur de Carrefour en Inde, dont le témoignage figure parmi plus de 400 autres venant de salariés des usines sous-traitantes qui approvisionnent Aldi, Carrefour, Lidl, Tesco et Walmart dans quatre pays d’Asie du Sud-Est (Sri Lanka, Inde, Bangladesh et Thaïlande).
Le rapport décrit les rémunérations dérisoires, l’absence de liberté syndicale et de contrat de travail, la précarisation extrême des travailleurs, dont la grande majorité sont des femmes.
Surtout, les enquêtes de Syndex et de la Clean Clothes Campaign montrent comment ces entreprises bafouent leurs propres engagements éthiques. Les codes de conduite et chartes éthiques censés imposer des critères sociaux aux fournisseurs et sous-traitants ont fleuri depuis quelques années. Carrefour est devenu le roi des audits sociaux, suivi par Leclerc, Auchan et enfin Casino. Les quatre cumulent 65 % du chiffre d’affaires total de la grande distribution en France, soit 109 milliards d’euros, mais les pratiques et engagements stagnent, voire reculent, depuis cinq ans. « C’est d’ailleurs en raison de cette immobilité qu’Amnesty International a souhaité rompre début 2009 le partenariat qui avait été établi » avec la centrale d’achat du groupe Casino, relève Syndex.
Le succès économique de la grande distribution repose sur une recette imposant le moins-disant social et des délais de paiement très tardifs permettant de dégager de gros profits. Le collectif Éthique sur l’étiquette veut inverser la logique de ce modèle, « en plaçant le droit des salariés à un travail décent au cœur des préoccupations » , et défend notamment la norme internationale ISO 26 000 relative à la « responsabilité sociétale » et au « développement durable » des entreprises, dont le projet est soumis à une période de vote jusqu’en février 2010. Mais il faudra aussi accomplir des pas de géant vers la mise en cause de la politique libérale et productiviste qui a dominé ces cinquante dernières années.
[^2]: La prise en compte de la qualité sociale par quatre géants français de la grande distribution, juillet 2009.