« La reprise ne durera pas »
Pour l’économiste Nicolas Béniès*, les causes de la crise continuent d’exister. Et elles délégitiment l’idéologie libérale dominante.
dans l’hebdo N° 1076 Acheter ce numéro
Politis : Le gouvernement estime que les effets des plans de relance annoncent une sortie de crise. Qu’en pensez-vous ?
Nicolas Béniès I Il faut rappeler que de 2007 à septembre 2008, les gouvernements ont totalement nié la crise. La réponse à celle-ci n’est intervenue qu’après le 15 septembre 2008, c’est-à-dire après que Lehman Brothers se fut déclarée en faillite. Le plan de relance qui a suivi n’a été qu’un plan d’aide aux banquiers de manière à ce qu’ils puissent continuer à fonctionner comme avant.
De fait, il y a une appréciation « positive » du plan mis en œuvre par le gouvernement français. Cela a permis aux banques de continuer à spéculer et à faire grossir une nouvelle bulle financière, qui comme toute bulle financière éclatera à un moment ou un autre. Il y a donc une efficacité relative des mesures prises… auxquelles il faut ajouter l’efficacité réelle du modèle social français : la protection sociale a amorti très fortement la crise. Cela explique le rebond actuel, qui est en fait une respiration de la crise, au demeurant systémique.
La ministre de l’Économie, Christine Lagarde, envisage une fin de crise économique vers la mi-2010…
Les causes de cette crise systémique continuent d’exister. On va voir le chômage poursuivre sa hausse avec le développement de la crise financière, ce qui va provoquer une récession. Les banques bloquent en partie le crédit à la consommation et le crédit à la production. Un certain nombre d’éléments montrent que la faible reprise qu’on enregistre ne sera pas pérenne.
Il faut aussi rappeler que la situation jusqu’au deuxième trimestre 2009 a pris la forme d’une catastrophe. Car on n’a pas insisté sur le fait que la récession est trois fois supérieure à celle des années 1930. On l’a sous-estimée.
Un fossé se creuse donc entre cette croyance économique et la réalité…
On voit bien qu’il y a une crise de légitimité de l’idéologie libérale. Par exemple, on a un budget pour 2010 qui navigue à vue, sans priorité ni perspective. On est dans une fin d’époque pour ce qui est de l’idéologie dominante, mais le début d’une autre époque n’a pas encore commencé. Le fond de l’histoire n’est pas tant le libéralisme que la privatisation. Le grand axe idéologique pratique, c’est de privatiser pour retrouver de nouveaux lieux d’accumulation du capital. Il faudrait définir une nouvelle idéologie qui supposerait une nouvelle politique économique.
Face au libéralisme qui a triomphé depuis les années 1980, on n’a pas de pensée alternative, si ce n’est, et c’est visible dans la presse américaine et britannique, le retour à Karl Marx.