Le pari du changement

Quelque cent cinquante à deux cents personnes ont participé, samedi et dimanche, aux Assises pour le changement convoquées par Politis à la Bourse du travail de Saint-Denis. Extraits.

Erwan Manac'h  • 12 novembre 2009 abonné·es
Le pari du changement

Au total, une quarantaine d’intervenants ont dialogué entre eux puis avec la salle au cours des Assises pour le changement, réparties en quatre tables rondes, le week-end dernier à la Bourse du travail de Saint-Denis. Nous publions ici un très bref aperçu de ces débats. Vous pourrez retrouver en intégralité sur le site de Politis (politis.fr, rubrique multimédia) les interventions de l’économiste Frédéric Lordon, du sociologue Éric Fassin, de Gus Massiah, ex-président du Crid, d’Aurélie Trouvé, coprésidente d’Attac, et de Jean-Pierre Dubois, président de la Ligue des droits de l’homme, invités à développer hors table ronde chacun des grands thèmes soumis à discussion. Vous pourrez aussi écouter des extraits des tables rondes, l’intégralité du débat de dimanche sur les « choix stratégiques » de chaque formation de ­l’autre gauche et des Verts, ainsi que la conclusion de Denis Sieffert.
Vous pourrez aussi entendre l’échange très riche qui a eu lieu au cours de la soirée européenne entre Julien Ferrat (Die Linke) et le député européen Renato Soeiro, du Bloc de gauche portugais, réunis autour de Michel Rousseau (coordinateur des Marches européennes) et d’Élisabeth Gauthier (Espaces Marx).

1re table ronde : « Changer l’économie »

En introduction de la première table ronde réunie sur le thème ­« ­Changer l’économie », Frédéric Lordon a souligné que la crise actuelle est « une crise du capitalisme de basse pression salariale, où la concurrence est exacerbée par la forte pression actionnariale ». Une crise écologique de « raréfaction des ressources naturelles », a ajouté Jérôme Gleize, économiste à la commission transnationale des Verts. Et « une crise “civilisationnelle” » , pour Nicolas Béniès, économiste et membre de la Gauche unitaire : « L’idéologie libérale est en crise de légitimité, et l’absence de vision du monde ouvre une crise culturelle. »
Partageant ce constat, les intervenants proposent des remèdes : la socialisation de l’économie, qui passe par un encadrement public de la finance. Pour Frédéric Lordon, les marchés financiers doivent être circonscrits par une véritable politique monétaire antispéculative. « Le métier de banquier doit redevenir ennuyeux » , s’amuse l’économiste. Pour Benoît Borrits, membre de la commission Économie des Alternatifs, il faut remettre en question la valorisation du capital et avancer dans une logique de service public. Et ce, ajoute Jérôme Gleize (Verts), au service d’une réduction drastique de l’empreinte écologique en relocalisant la production. Vincent Miguet, du NPA, préconise le développement de la gratuité et une véritable politique de redistribution des richesses par l’impôt.
De son côté, Pierre Larrouturou estime que l’effort doit porter sur les énergies renouvelables, le logement et la réduction du temps de travail, qui permettra de partager les gains de productivité. Tout cela pose une lourde question démocratique, estime Pierre Cours-Salies, sociologue, membre de la Fédération alternative écologique et sociale. Corinne Morel-Darleux, du Parti de gauche, en appelle à une véritable transformation sociale qui permette de faire éclore une démocratie directe, « socle politique nécessaire à la socialisation de l’économie ».

2e table ronde : « Changer les comportements, une question politique »

À l’échelle individuelle ou collective, comment la gauche peut-elle faire changer les comportements pour faire éclore une société nouvelle ? Pour le sociologue Éric Fassin, qui introduit le débat, il s’agit de pousser les citoyens à « interroger les normes » et à les remettre en question. Un questionnement fondamental qui doit, pour Christian Sunt, objecteur de croissance, remettre en cause le travail comme une contrainte et une aliénation, qui fonde une société de l’accumulation. Il s’agit aussi de s’interroger sur la façon de faire de la politique.
« Les structures politiques doivent incarner le changement », estime Élodie Vieille-Blanchard, des Alternatifs, jugeant qu’un mouvement de « révolution lente », autogéré, doit constamment s’interroger sur les rapports humains en son sein (entre les générations, entre les sexes). Claire Villiers, conseillère générale d’Île-de-France pour Alternative citoyenne, pense de son côté que les élus doivent responsabiliser au maximum les citoyens sur les enjeux politiques : « Le pouvoir politique doit devenir un pouvoir de donner le pouvoir. » Et la loi peut encourager des évolutions des comportements, ajoute Marie-Pierre Toubhans, de la Gauche unitaire. Les mouvements collectifs doivent rassembler et déboucher sur la loi pour susciter l’engagement. Pierre Kerdraon, pour République et socialisme, et Bernard Defaix, de la Convergence des collectifs de défense des services publics, insistent de leur côté sur la nécessité de défendre et de réinventer le service public comme un cadre et un moteur du changement. L’existence et le renforcement des services publics ­donnent précisément les moyens sociaux des changements de comportements individuels.

La députée de Paris Martine Billard insiste sur la nécessité d’un changement global : « Les “contre-façons” de vivre ne suffiront pas à un vrai changement. » Elle défend l’idée d’un «  pacte écologique » comme celui auquel elle travaille avec le Parti de gauche. « Face à l’urgence d’agir, lance enfin Claire Villiers, il y a des discussions qui sont hors de propos, il faut privilégier ce qui rassemble. Si nous ne faisons pas cela, je crois que nous sommes morts. » Ce qui la conduit à évoquer les « comportements politiques » et les « rapports aux pouvoirs ».

3e table ronde : « Changer les rapports Nord-Sud »

En introduction du débat, Gustave Massiah, ancien président du ­Centre de recherche et d’information pour le développement, note que, « un peu avant les années 1980, l’alliance entre les mouvements de libération nationale et de libérations sociales
– les mouvements communistes – s’est rompue. Cela a affaibli les mouvements anticoloniaux ».

« Les rapports Nord-sud de la période de décolonisation ont laissé la place à une contradiction entre les dominants et les dominés au sein de chaque État », observe Alain Lipietz (Verts). Pour lui, il faut donc aujourd’hui formaliser une lutte pour l’accès aux droits fondamentaux qui dépasse les contradictions Nord-Sud. « Il faut lutter pour que chaque ­peuple ait accès aux droits fondamentaux » , estime aussi Jean-François Pellissier, des Alternatifs, qui prône « l’alterdéveloppement », par opposition au « codéveloppement » . Pour Patrick Braouezec, député de Seine-Saint-Denis, des Communistes unitaires, cela se décline en un droit à la souveraineté alimentaire, à la santé, à l’énergie et à l’éducation.
Ce que développera, dimanche, Aurélie Trouvé, coprésidente d’Attac, qui lance : « On n’est plus dans le “un autre monde est possible” , aujourd’hui, mais “un autre monde est absolument nécessaire” face à l’intensification de la libéralisation. »

« Il faut aller vers la création de grands espaces politiques où nous récupérerons de la souveraineté », affirme Alain Lipietz. Et cela, ajoute Christophe Ventura, du Parti de gauche, par une refonte des institutions internationales. « Un combat difficile mais crucial » , concède-t-il. Pour Patrick Braouezec, qui reste sceptique sur la possibilité d’une réforme de l’ONU ou de l’Europe, «  la question se pose d’un nouveau mouvement internationaliste ». L’Occident doit aussi rompre avec sa position de supériorité envers le Sud, estime Pierre Baton, du NPA, qui milite pour l’ouverture des frontières à l’immigration. Dans le même sens, François Calaret (Gauche unitaire) estime que le Nord doit reconnaître « une triple dette » envers les pays du Sud : économique, écologique et coloniale.

4 e table ronde : « Reconquérir les libertés publiques »

« On ne peut pas défendre les libertés seulement par le droit », affirme Jean-Pierre Dubois, président de la Ligue des droits de l’homme, invité à introduire cette quatrième table ronde. Pour lui, « un mouvement politique est essentiel » . Il propose que la mobilisation porte des mesures concrètes, comme la délivrance systématique d’une attestation à chaque contrôle de police. L’égalité face à la loi n’est pas respectée, estime Évelyne Sire-Marin, de la Fondation Copernic. « Lorsqu’on est magistrate, on voit tous les jours une véritable industrie de la punition », témoigne-t-elle en appelant à faire de la police « une institution républicaine » .

Gaëtan Alibert, gardien de la paix, syndicaliste à SUD Intérieur Solidaires, met en garde contre l’illusion selon laquelle la loi serait protectrice contre les excès de certains policiers. «  La loi permet beaucoup » , observe-t-il. Dans une logique de démocratie directe, il pense que c’est aux citoyens de fixer le rôle de la police, mais se méfie de l’idée d’une élection de la police par les citoyens, « qui nous rapprocherait des shérifs » . Pour Pierre Zarka (Communistes unitaires), le mouvement doit viser l’émancipation au sens large, afin d’incarner un sens commun au-delà des disparités sociales ou culturelles qui composent la société. Il émet des réserves sur une apologie de la fraternité qui se ferait aux dépens de l’égalité : «  Que va-t-on me faire si je ne suis pas fraternel ?, demande-t-il. On va me faire la morale. » Face aux bavures, « il faut faire front collectivement, insiste Mohamed Mechmache, du collectif ACLefeu. Nous avons été très peu nombreux à nous mobiliser après la mort d’Ali Ziri, un homme de 72 ans, le 9 juin 2009 [voir Politis n° 1058]. P ourtant, ça ne concerne pas que les habitants des quartiers. » « Il faut insister sur les droits collectifs, ajoute Michelle Ernis, de la Gauche unitaire, c’est la meilleure expression du combat pour les droits fondamentaux. »

Le surendettement, la précarité croissante : pour Évelyne Sire-Marin, le combat pour les libertés fondamentales passe aussi par une résolution de la crise sociale. « Les tribunaux sont des miroirs de la crise sociale », souligne-t-elle. Pour Hélène Franco, du Parti de gauche, enfin, « il n’est pas possible d’accéder aux droits fondamentaux dans le carcan de la Ve République. Il n’y aura pas de reconquête des libertés publiques sans rupture avec les institutions actuelles. »

Le débat : « Quelle stratégie pour quel rassemblement à gauche ? »

« De plus en plus, les organisations doivent se justifier vis-à-vis de l’unité, et c’est déjà une victoire » , observe Clémentine Autain, de la Fédération pour une alternative sociale et écologique. Patrick Bessac, porte-parole du PCF, met en garde contre le risque de bipolarisation de notre paysage politique, qui mettrait face à face « un pôle social-démocrate appuyé par le MoDem à une droite populiste-libérale ». « Les différentes forces de gauche n’ont pas encore été ­capables de conserver leurs bases populaires, estime Claude Debons, du Parti de gauche, il faut construire la force qui puisse porter une nouvelle perspective et la rendre crédible. » « L’unité dans la lutte est très importante, mais c’est une question extrêmement sérieuse, convient Myriam Martin, du NPA. L’enjeu est énorme, il s’agit de redonner espoir aux gens. Il faut donc nous donner un contenu extrêmement clair. » «  Il faut retourner vers nos fondamentaux, estime Lucien Jallamion, de République et socialisme, refuser le libéralisme financier et proposer une alternative réaliste au capitalisme. »

Il y a urgence à « sortir des postures de témoignages pour affirmer qu’on peut devenir majoritaires à gauche », prévient Christian Picquet, de la Gauche unitaire. Et «  je comprends les réticences du NPA, insiste Clémentine Autain, mais s’il fait le pari de rentrer dans la dynamique, on peut créer un espoir qui pourrait faire entrer des gens dans le mouvement. » « Même si ça peut faire sourire, j’en appelle à l’unité de la gauche communiste et radicale, lance même Jean-Vincent Placé (Verts), car si l’attelage à la gauche du PS et des Verts n’est pas solide, nous, [les Verts], allons finir dans un pôle social-démocrate. »
Quant à s’allier avec le PS dans les exécutifs des régions, Myriam Martin refuse : « Il faut rompre avec les politiques sociales-démocrates qui ont créé le désespoir actuel et la dépolitisation qu’on connaît. » «  C’est une question qui sera extrêmement problématique » , anticipe Jean-Jacques Boislaroussie. Le porte-parole des Alternatifs ne lance pas moins « de manière un peu solennelle » aux « camarades du NPA »  : «  Est-ce qu’au nom de cette crainte on doit ne pas engager une dynamique politique qui soit forte, en appui aux luttes, et qui s’enracine dans la société ? Non. » Pour Clémentine Autain, il ne faut pas se positionner par principe contre tout accord avec les sociaux-démocrates, c’est dans des propositions concrètes qu’il faudra fixer des conditions pour les accords. Il faut, estime-t-elle, faire le « pari » du rassemblement de l’autre gauche.

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