Les chômeurs réclament un plan d’urgence
Les chômeurs, soutenus par des salariés de Pôle emploi, ont multiplié leurs actions depuis le 28 octobre à l’appel du collectif Droits nouveaux. Tous dénoncent la dégradation des conditions de la recherche d’emploi.
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« Le stress de la recherche d’emploi rend les gens dingues » , murmure un homme, chômeur depuis peu, devant la scène qui s’est produite à l’entrée d’une agence Pôle emploi du XIXe arrondissement de Paris. L’ambiance de l’espace Laumière a tourné au vinaigre devant une affichette proposant les offres d’emploi du Club Med. Enervée, une jeune chômeuse hurle qu’on ne veut pas lui faire une photocopie du précieux document, qui contient numéro de téléphone et adresse. En face d’elle, une conseillère au bord des larmes ne sait plus quoi dire, et cède sa place à d’autres agents, puis à la directrice adjointe. Brouhaha, discussion et retour au calme.
Cette montée de colère est courante dans les espaces feutrés de Pôle emploi, et parfois plus violente quand la file d’attente s’allonge. Là, l’incident est intervenu alors que l’agence est occupée, ce mercredi 28 octobre, par une trentaine de chômeurs du collectif Pour des droits nouveaux (dont AC !, les intermittents de la CIP-IDF et l’Appel et la Pioche). De telles actions d’occupation se sont répétées dans plusieurs villes de France pendant trois jours. « Il est temps de nous faire entendre pour obliger le gouvernement à répondre à l’urgence sociale », expliquent Évelyne Perrin, une habituée des actions, membre d’Agir ensemble contre le chômage (AC !), et Diane, jeune militante de l’Appel et la Pioche, comité de précaires du NPA.
Dans ses tracts, le collectif exige la suppression de la plate-forme téléphonique du 3949 – « complètement déshumanisée » , se plaignent des chômeurs –, le rétablissement de l’accueil, l’arrêt des radiations et du suivi mensuel imposé, et que les chômeurs soient informés de leurs droits. Quelques jours plus tôt, un « plan d’urgence » a été présenté par le Mouvement national des chômeurs et précaires (MNCP), demandant, entre autres, « la régularisation des inscriptions, la suppression de l’offre raisonnable d’emploi, une refonte du projet personnalisé d’accès à l’emploi (PPAE) de manière à garantir les droits des demandeurs d’emploi ».
La liste des revendications des chômeurs est longue, et le gouvernement « n’a proposé aucune réponse à la hauteur de la crise. Il y a des licenciements par milliers, mais aussi des plans sociaux de fait dont personne n’a parlé, avec des intérimaires qui ont presque tous perdu leur boulot. La situation est catastrophique, notamment pour les jeunes des quartiers populaires » , explique Évelyne Perrin. Une situation de forte tension est décrite par Sylvette Uzan-Chomat, membre du bureau national du SNU Pôle emploi : « Cela déborde de partout. On a une augmentation de plus de 20 % du chômage sur un an et on va presque atteindre les 4 millions d’inscrits en comptant seulement trois catégories de chômeurs. On était déjà en insuffisance de personnel avant la crise, la fusion ANPE-Assedic n’a pas résolu les problèmes. C’était une illusion de dire que la fusion les résoudrait. Pôle emploi est totalement désorganisé, les personnels ne savent plus où ils en sont. »
À l’agence Laumière comme à celle de La Villette, l’afflux des chômeurs n’est pas maîtrisé. Tenu au devoir de réserve, un agent évoque rapidement la « surcharge de travail » , le « manque de moyens pour recevoir les demandeurs d’emploi, et le 3949, une usine à gaz ». Un autre explique que l’agence « attend 2 000 nouveaux demandeurs d’emploi dans les prochains mois, une prévision déjà établie » . « Des agents de placement ont jusqu’à 170 dossiers dans leur portefeuille, ce n’est pas gérable » , admet le nouveau directeur du site, Emmanuel Beaufrère. Le ras-le-bol est évident, au point qu’à Marseille les salariés de Pôle emploi se mettront à nouveau en grève le 10 novembre. 50 % des agents étaient en grève à La Réunion le 29 octobre. « On a appris vendredi par la direction que, dans le cadre de la solidarité interrégionale, des dossiers d’indemnisation sont traités par des régions pour d’autres régions. On essaie de masquer les sous-effectifs, mais cela ne peut pas tenir, c’est de l’ordre de la rustine » , souligne Sylvette Uzan-Chomat, qui parle de « situation de blocage » après une réunion des délégués centraux du personnel et de la direction qui s’est tenue le 30 octobre.
« De nombreux agents du Pôle sont favorables à notre action, mais semblent plutôt mal à l’aise à l’idée de nous manifester leur soutien », rapporte Évelyne Perrin. Cependant, personne n’oppose de résistance quand les chômeurs du collectif débranchent le lecteur optique censé détecter de fausses pièces d’identité, nouvel outil de travail installé dans les agences pour le « flicage des sans-papiers » , selon le collectif. « Les allocs, c’est au faciès, n’hésite pas à dire Laurent, de la Coordination des intermittents et précaires d’Île-de-France. Si vous avez l’air roumain, ou africain, ou maghrébin, il y a peu de chance pour que votre dossier passe dès votre arrivée. À Orléans, ils ont organisé un rendez-vous qui était un traquenard pour un sans-papiers. C’est ça qu’on est en train de demander à Pôle emploi ! »
Au Pôle emploi de La Villette, Laurent parle pour les autres : « Il y a un énorme manque de personnel pour répondre aux questions des demandeurs sur leurs droits, et c’est pour cela qu’il y a des actions dans plusieurs villes, à Rennes, à Marseille… On a besoin de se défendre face à cette situation. Notamment avec l’instauration du RSA. Et on se retrouve aussi obligé d’accepter n’importe quel boulot avec l’offre raisonnable d’emploi. Et si on a 500 euros d’allocs, on risque de les perdre si on n’a pas un emploi à ce tarif-là après un refus. »
Anne acquiesce. Jeune comptable inscrite à l’agence de la rue Pelleport, dans le XXe arrondissement de Paris, elle lance : « Cela ne m’intéresse pas de me battre pour montrer que je suis la meilleure candidate ! Il n’y a pas assez d’emplois, c’est tout ! Pourtant, il y a assez de travail pour tout le monde. » Anne raconte qu’elle a été sélectionnée parmi trois cents CV : « La plupart des personnes sont dans une course désespérée à la recherche d’emploi, leur profil ne correspond pas du tout au poste. » Elle non plus : « L’employeur a finalement choisi un candidat plus “stable”, qui n’avait pas plein de CDD sur son CV comme moi ! Si tous les employeurs raisonnaient comme ça, je n’aurais jamais d’emploi ! Ma conseillère a avoué être obligé de me proposer ces postes. »
« Les gens sont désarçonnés par l’attitude des agents », raconte aussi Arièle Nugon, du Collectif unitaire contre le chômage et la précarité, qui a occupé le 30 octobre le Pôle emploi de Gibbes-Saint-Gabriel à Marseille. Claude, un chômeur militant d’AC !, y demande au directeur de l’agence d’expliquer comment a été calculé le montant de son allocation : « Il a été incapable de répondre à sa demande, observe Arièle. Mais la répression et les contrôle s’intensifient. Il y a un fort sentiment d’injustice. » Les allocations sont souvent suspendues et la radiation intervient fréquemment à la suite d’une erreur : « Souvent, l’ordinateur envoie des lettres types qui ne correspondent pas au calcul que l’on fait. Ces dysfonctionnements techniques sont fréquents. »
« Les démarches d’accompagnement des chômeurs par les collectifs pour débloquer les dossiers et défendre ce qui reste de droits des allocataires se multiplient », décrit le Mouvement rennais des chômeurs et des précaires en lutte, dans une lettre ouverte aux conseillers de Pôle emploi. Beaucoup ignorent leurs droits ou abandonnent, résignés. Laurent donne un autre exemple de la confusion régnant dans les Pôles emploi : « Nicolas Sarkozy s’est vanté, il y a un an, de créer une prime de 500 euros pour certaines personnes, il prévoyait que 250 000 personnes seraient concernées, et Pôle emploi devait les informer. Il n’y en a eu que 3 000. Pôle emploi n’informe sur aucun droit ! » Pourtant, « chômage et précarité, déjà très élevés avant la crise, explosent », répète Évelyne Perrin. « Avec la liquidation des droits sociaux en cours, la situation est intenable ! »