L’OMC exploite un nouveau filon
Ouverture douanière, accroissement du commerce, diffusion des technologies « propres » : réunie une semaine avant Copenhague, l’OMC veut tirer parti du dérèglement climatique pour doper le libre-échange.
dans l’hebdo N° 1078 Acheter ce numéro
Quatre ans que l’OMC n’avait pas tenu de conférence ministérielle ! Du 30 novembre au 2 décembre, voilà cette réunion de haut niveau opportunément convoquée à Genève une semaine avant le sommet de Copenhague sur le climat.
Ordre du jour : état du cycle de négociations de Doha, et contribution à la reprise, à la croissance et au développement. Pas un mot pour évoquer la bataille climatique. Pourtant, bien des signes indiquent que l’Organisation mondiale du commerce l’a placée au centre de sa stratégie : le processus de libéralisation des échanges engagé à Doha en 2001 est enlisé, et c’est une occasion en or de le relancer en poussant l’important chapitre de « la réduction ou l’élimination des obstacles tarifaires et non tarifaires visant les biens et services environnementaux ».
Depuis la fin des années 1990, devant la montée des préoccupations liées au climat, l’Organisation ne conçoit plus l’environnement comme entrave au commerce, mais en « soutien mutuel », relève le juriste Raphaël Kempf [^2]. Belle opération de communication de l’OMC : ce concept a même obtenu la caution du Programme des Nations unies pour l’environnement dans un rapport, Commerce et changement climatique, que les deux organisations ont cosigné en juin dernier [^3]. L’OMC y concède qu’une libéralisation des échanges va doper les émissions de CO2 par accroissement du commerce ; mais, se pardonne-t-elle, l’essentiel du transport international de biens se fait par voie maritime, l’une des moins émettrices. En contrepartie, induit l’OMC, son action aurait d’incomparables bénéfices climatiques : une mise en concurrence plus efficace incitera les pays à se spécialiser dans les secteurs les moins consommateurs d’énergie pour lesquels ils ont un avantage international ; mais, surtout, le libre-échange faciliterait la diffusion de technologies « propres » – « biens et services environnementaux plus efficients, plus variés et moins coûteux au niveau mondial ».
Qu’en est-il dans la réalité ?
Cet habillage « pro-environnement » est largement démenti par la réalité, analyse une note rédigée par Attac à l’occasion de la conférence de Genève : la libéralisation des marchés entraîne surtout « une sélection des systèmes de production à plus faibles coûts destructeurs pour l’environnement, ainsi qu’une fragilisation progressive des systèmes plus respectueux des ressources naturelles ».
Par ailleurs, bien que la jurisprudence de l’OMC affiche que ses règles « ne l’emportent pas sur les prescriptions environnementales » , pas question que ces dernières créent discriminations, distorsions ou obstacles dans les échanges commerciaux. Ainsi, relève Attac, des pays dont les mesures pénalisaient les véhicules fortement consommateurs en carburant ont été sanctionnés par l’OMC à la suite de plaintes déposées par des pays producteurs qui s’estimaient lésés.
Cette contradiction flagrante ne perturbe pas l’Organisation. On la retrouve au chapitre de la libéralisation des marchés de l’énergie, prioritaire pour l’Europe notamment. Elle a, par exemple, pour effet d’entamer toutes les entraves à l’importation d’agrocarburants, quels qu’en soient les impacts écologiques, y compris sur le climat (déforestation, etc.).
D’une manière générale, l’OMC tend à limiter fortement les préférences accordées par les États à leurs produits verts – subventions aux énergies renouvelables, taxe carbone aux frontières, etc., note Raphaël Kempf.
Ce dernier point illustre par ailleurs que sur le terrain de l’environnement (comme d’autres), les règles de l’OMC ont une fâcheuse tendance à favoriser les pays riches.
Ainsi, certains pays (comme la France) voudraient imposer une « taxe carbone » à l’entrée du marché communautaire aux produits issus de pays dépourvus de mesures « anticarbone » – alors que des quotas d’émissions des CO2 sont appliqués aux 11 400 sites industriels les plus émetteurs de l’Union. L’OMC pourrait y consentir afin d’égaliser les conditions de concurrence pour les entreprises européennes. Impact environnemental positif ? Un trompe-l’œil, dénonce Attac : une taxe aux frontières reconstituerait surtout une barrière protectionniste défavorable aux pays pauvres qui ne sont pas en mesure de lutter contre la dérive climatique, bien qu’étant ses premières victimes, alors que les pays riches, premiers responsables, persistent à ne pas les aider à hauteur décente.
De même, pour faire avancer le cycle de Doha, plusieurs pays ont soumis à l’OMC des listes de biens « environnementaux » pour lesquels ils sollicitent la réduction ou l’annulation des droits de douanes. Sur un total de 480 dénominations, on trouve… des insecticides, des fours micro-ondes économes, des distributeurs de billets de banque, etc. Finalement, cette négociation dans un secteur où les pays du Nord ont fréquemment une avance technologique n’est qu’une banale tentative de leur part pour s’approprier de nouvelles parts de marché, conclut Raphaël Kempf. L’objectif climatique a bon dos.
[^2]: L’OMC face au changement climatique, éditions Pédone, 153 p., 18 euros, qui décortiquent de manière très analytique et politique la stratégie de l’Organisation mondiale du commerce pour se rendre plus que compatible – indispensable – dans la lutte climatique internationale.