Non, la crise n’est pas terminée !
Avec son plan de relance et son budget de « sortie de crise » en 2010, le gouvernement affirme distinguer les signes d’un redémarrage économique. Il y a pourtant largement de quoi en douter.
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Officiellement, la sortie de crise est prévue courant 2010. En août, la ministre de l’Économie, Christine Lagarde, s’offrait même le luxe de fixer la date du retour à l’embellie dans les colonnes du Figaro : « Je reste sur un schéma de sortie de crise définitive mi-2010. Maintenant, si nous redémarrons avant, tant mieux ! »
Pas en reste, Éric Woerth, ministre du Budget, fait miroiter une révision de la croissance qui devrait faire entrer 2 à 3 milliards d’euros supplémentaires dans les caisses de l’État. Et enfonce le clou lors de la présentation, le 20 octobre, du projet de loi de finances pour 2010 à l’Assemblée nationale : « Notre politique budgétaire nous a donc permis d’enrayer la chute de l’activité en 2009 et de terminer l’année avec une récession moindre que prévu. » Pour lui, « le défi de l’année 2010, c’est bien évidemment de réussir la sortie de crise et d’en sortir durablement, avec un budget cohérent ».
On serait donc vers la fin de la crise. Du moins, le discours dominant penche pour cette hypothèse. Les gourous, tel Alain Minc, qui semblaient redescendus sur terre, balaient d’un revers de main d’éventuelles rechutes de l’économie. En mars, le conseiller des dirigeants politiques et des chefs d’entreprise déclare que la crise concerne « 200 000 à 300 000 personnes dramatiquement mal protégées » , mais que, « pour la France qui est sous statuts, il n’y a pas et il n’y aura pas de crise ». L’industriel Carlos Ghosn, patron de Renault, abonde en ce sens et trace, en septembre, les grandes lignes d’un redémarrage de l’économie « dès le premier trimestre 2010 » . Plus récemment, Baudouin Prot, patron de BNP Paribas, estimait que « les résultats de BNP Paribas sur neuf mois portent à l’évidence la preuve que la crise financière est terminée ». L’horizon économique serait-il à ce point dégagé ?
Le risque d’une nouvelle crise financière
Les indices boursiers font de nouveau des étincelles. Grâce au plan de relance et à l’argent public, les banques ont relancé leurs activités spéculatives. À Wall Street comme à la Bourse de Paris, la crise semble n’avoir aucune vertu pédagogique sur le système bancaire et financier. La Société générale et la BNP Paribas, première banque française, ont ouvert le bal des résultats la semaine dernière : 1,3 milliard d’euros de bénéfice pour la BNP, et les revenus de la Société générale ont bondi de 36,5 % (1,7 milliard d’euros). La même banque avait provisionné 1 milliard au titre des bonus des traders, et suscité le scandale.
« À quoi assiste-t-on aujourd’hui ? De nouveau, à d’énormes positions spéculatives sur les marchés émergents, les matières premières, le pétrole, le sucre, le cacao, le cuivre, etc., provoquées par l’abondance de liquidités. Et, là, la responsabilité incombe aux États. Rien de ces considérables flux de capitaux internationaux n’aide au financement du développement, de la croissance, des emplois des pays émergents… », reconnaît Patrick Artus, directeur de la recherche et des études Natixis, loin d’être un gauchiste.
On connaît la suite. La flambée des prix des denrées alimentaires de base et les émeutes de la faim dans le monde en 2008 étaient liées à la spéculation sur les matières premières (sucre, céréales, etc.). Et les conséquences dévastatrices de la crise sont loin d’être terminées. « Il faut s’attendre à une longue période de défaillances et de sauvetages, comme le montrent les déboires à répétition d’AIG [groupe d’assurance américain qui a perdu 62 milliards de dollars en 2008 et a été sauvée grâce à un nouveau plan de sauvetage] », prévenait l’économiste Michel Husson en avril. « Même la crise hypothécaire [aux États-Unis] qui a tout déclenché n’est pas résorbée. Au contraire, elle s’étend. » Ainsi, le 1er novembre, les États-Unis ont enregistré la cinquième plus grosse faillite depuis 1980, avec la chute du groupe financier CIT.
Le chômage poursuit sa hausse
La « reprise » tarde à se concrétiser pour le monde du travail. La hausse du chômage n’est pas près de s’arrêter, de l’aveu même du gouvernement, qui minimise la crue en expliquant que les chiffres sont moins catastrophiques qu’au début de l’année. L’explication viendrait des mesures gouvernementales (contrats de transition professionnelle, plan d’urgence pour l’emploi des jeunes, etc.). Or, la publication récente des statistiques du chômage indique pourtant que le plus dur de la crise est devant nous. Près de 4 millions de chômeurs sont inscrits à Pôle emploi, sans compter les quelque 800 000 actifs sans emploi qui veulent travailler mais ne sont pas comptabilisés comme chômeurs. L’Observatoire français des conjonctures économiques (OFCE) table sur un taux de chômage à 10,6 % de la population active fin 2010 contre 7,8 % fin 2008, soit « la plus forte progression observée au cours des 25 dernières années ». 700 000 emplois marchands devraient être détruits l’an prochain, toujours d’après l’OFCE. L’intensification de la concurrence au niveau mondial ajoute à cette situation de crise aux conséquences lourdes pour le monde du travail. Et elle n’est pas près de faiblir. Le gouvernement n’a pas envisagé de plan d’urgence pour relancer la consommation des ménages.
Le pays s’enfonce dans les inégalités
Le budget pour 2010 est révélateur d’un autre facteur qui montre que cette crise est encore loin d’être résolue. Alors que le déficit de l’État atteint 116 milliards d’euros, le gouvernement maintient une politique d’austérité très favorable aux plus riches et aux entreprises. Il est exclu de toucher au bouclier fiscal, et les grandes entreprises bénéficieront de la suppression de la taxe professionnelle alors que les inégalités s’accroissent et que le pouvoir d’achat des ménages est en berne. La France compte entre 4,2 et 8 millions de personnes pauvres (revenus inférieurs à 757 euros ou 908 euros, selon la définition de la pauvreté utilisée), d’après l’Observatoire des inégalités, qui estime qu’il y a entre 1,7 et 3,7 millions de travailleurs pauvres en France. Or, « en 2008, les entreprises industrielles et de services disposaient de 750 milliards d’euros de fonds », relève le centre confédéral d’études économiques et sociales de la CGT, qui note que « les entreprises continuent de privilégier la rémunération des actionnaires aux dépens de l’emploi, des salaires et de l’investissement productif » . Cette situation « ne peut pas perdurer » , à moins que l’on aille vers une nouvelle crise.