Une belle usine à gaz
La nouvelle architecture des pouvoirs locaux contenue dans le projet du gouvernement contredit les promesses de simplification du « millefeuille des collectivités ».
dans l’hebdo N° 1077 Acheter ce numéro
Simplification et économies. Ces deux termes, répétés à satiété par le président de la République lors de la présentation de sa réforme des collectivités territoriales, en constituent les maîtres mots. Cette volonté de rationaliser l’organisation de la puissance publique est au moins aussi ancienne que la décentralisation, qui date de 1982. Elle a, dans le passé déjà, motivé la rédaction de nombreux rapports et le vote de quelques lois. Sans vraiment y parvenir. L’an dernier, Nicolas Sarkozy avait donc remis l’ouvrage sur le métier en confiant à Édouard Balladur la présidence d’un comité chargé de lui faire des propositions. Celles-ci inspirent très largement la réforme en cours, qui nécessitera l’adoption de plusieurs lois (voir encadré p. 20).
À Saint-Dizier (Haute-Marne), Nicolas Sarkozy n’a pas caché que sa réforme visait à contrecarrer l’empilement des structures nées de la décentralisation : on « a laissé se créer un écheveau de complexités qu’il est aujourd’hui très difficile de dénouer » . D’où la volonté proclamée de simplifier l’organisation territoriale en clarifiant les compétences de chacune d’entre elles.
« Ce projet, assure Jean-Patrick Courtois, vice-président du groupe UMP au Sénat, qui sera rapporteur de la loi, répond aux attentes des Français qui s’interrogent sur des questions simples : qui fait quoi ? Qui vote quoi ? Qui paye quoi ? »
Si le diagnostic est contestable – « L’histoire du millefeuille des collectivités est un mensonge : en France, il y a trois “feuilles”, comme en Espagne ou en Italie, comme dans les État fédéraux » , tempête Michel Vauzelle, président de Provence-Alpes-Côte-d’Azur –, l’objectif affiché est-il au moins atteint ? C’est douteux. Car l’organisation du territoire projetée dans la réforme a toutes les chances de conduire à plus de complexité.
Principale innovation, le texte déposé sur le bureau du Sénat crée un « conseiller territorial ». Ce nouvel élu, qui remplacera les actuels conseillers généraux et régionaux, siégera à la fois dans son conseil départemental et au conseil régional. « L’émergence de ce pôle région-département dotés d’élus communs » se traduira par la « réduction de moitié du nombre d’élus territoriaux » (3 000 au lieu de 6 000) et devrait permettre, selon Nicolas Sarkozy « une meilleure organisation à moindre coût ».
Autre nouveauté : aux trois niveaux actuels (communes, départements, régions) et à leurs regroupements – l’intercommunalité est généralisée, les communes isolées étant obligées d’intégrer des communautés de communes –, le projet de loi suggère d’en ajouter un nouveau, les « métropoles ».
Il s’agit de vastes intercommunalités devant rassembler 450 000 personnes dans un espace continu, sur la base du volontariat ; Nicolas Sarkozy espère en créer au moins huit. Ces métropoles auront les pouvoirs des actuelles communautés urbaines, mais auront aussi compétence de plein droit, en lieu et place du département et au sein de leur périmètre, sur les transports scolaires et la voirie départementale ; par convention passée avec le département et la région, elles pourront en outre se voir transférer la gestion des collèges et des lycées ainsi que tout ou partie des compétences de ces collectivités en matière d’action sociale et de développement économique. Il est aussi envisagé la possibilité de créer des « pôles métropolitains », avec des ensembles urbains discontinus dont un au moins doit compter 200 000 habitants.
Si le projet de loi prévoit d’enlever aux régions et départements la « compétence générale », il se contente d’affirmer la nécessité d’attribuer à la région et au département des compétences claires. Mais le texte soumis au Parlement en reste à l’affirmation de ce principe. Il ne dit rien sur ce qu’il conviendrait de mettre en œuvre quand l’État n’agit pas, et reste muet sur la répartition des compétences entre les différents niveaux territoriaux. Et pour cause : cet aspect, ô combien éclairant sur les intentions du gouvernement, ne sera abordé que dans une loi ultérieure, qui ne sera présentée que l’année prochaine. La clarification attendra !
Mais il est d’ores et déjà acquis, quelles que soient les compétences que la loi attribuera aux régions et aux départements, qu’ils en auront plus ou moins suivant qu’ils ont ou non une métropole sur leur territoire et en fonction des relations qu’ils entretiennent avec elle. Les transferts de compétence en direction des métropoles se faisant sur la base du volontariat, elles seront tout à fait variables suivant que l’on sera à Lille, à Marseille, à Bordeaux ou à Strasbourg. Le cas sera aussi différent pour les régions et départements qui auront décidé de fusionner, cette possibilité leur étant offerte.
Contrairement aux promesses démagogiques de Nicolas Sarkozy, la simplification ressemble à une belle usine à gaz. Et les économies escomptées risquent fort de n’être pas plus au rendez-vous.