Des armes en prison : les mots
Créé en 2001 par une poignée de détenus, le journal « l’Envolée » donne la parole aux prisonniers.
Et se mobilise contre tous les enfermements.
dans l’hebdo N° 1081 Acheter ce numéro
Au sommaire de ce numéro d’automne, une réflexion sur la loi pénitentiaire, « dernier crime du législateur » ; une autre sur les suicides et la médicalisation ; un texte sur la privatisation de la privation de liberté (les entreprises se bousculant au portillon « pour avoir de la main-d’œuvre bon marché » ) ; la lettre ouverte d’une avocate dont le client s’est pendu dans sa cellule à Fresnes ; un œil sur le reportage à Fleury tourné clandestinement par des prisonniers et diffusé au printemps dernier dans le magazine « Envoyé spécial », sur France 2 ; quelques notes sur le contrôle judiciaire ; des infos sur les quartiers d’isolement ; un article sur les sans-papiers au centre de rétention de Vincennes ; une tribune du collectif toulousain « Grippons la machine » ; et nombre de témoignages, de récits de-ci, de-là. Des maisons d’arrêt de Versailles, de Fleury-Mérogis, de la Santé, des centres de détention de Sennecey-le-Grand, de Liancourt, de Meaux, de Bapaume…
On raconte, on s’y raconte, on réfléchit, débat. « Courage, force, détermination et patience » pourraient être les mots d’ordre, comme le ponctue la lettre d’une prisonnière de la maison d’arrêt de Versailles. L’Envolée , ce sont 52 pages qui s’ouvrent par un édito, une maquette particulièrement sobre, une titraille soignée, une qualité d’écriture, des illustrations en noir et blanc. Dans l’avant-dernière page, sous le titre « Y a de la mutinerie dans l’hertz », les rendez-vous radiophoniques, ville par ville, de toutes les antennes qui font écho au journal, la liste des librairies militantes où se le procurer, un bulletin d’abonnement ( « à recopier sur papier libre » ), au prix de 15 euros par an, « quand on peut », suivi de cette recommandation : « Le but du journal étant d’être lu, de circuler à une grande échelle, l’argent ne doit pas être une barrière quant à sa diffusion. N’oubliez pas de nous prévenir si vous êtes transféré ou si vous sortez. » Le journal coûte 2 euros. Une peccadille.
Le sous-titre donne le ton : « Pour en finir avec toutes les prisons. » À la rédaction, quelques signatures, beaucoup de prénoms et d’anonymes. Forcément : l’Envolée est « un journal critique du système carcéral et judiciaire, revendiquent ses rédacteurs, et du monde qui le génère. Ce n’est pas le premier, ni le seul ; il s’inscrit dans l’histoire de la critique sociale abordée sous l’angle du châtiment, de la discipline, de la prison ». Il s’agit de « constituer un outil de réflexion et de résistance contre cette société qui génère de plus en plus de contrôle et d’enfermement ». La réflexion est âpre, parfois cinglante. On comprend dès lors combien il est « risqué » de s’exprimer dans ces pages, casse-gueule face à l’administration pénitentiaire et à la justice d’y inscrire une voix lucide et sans concession, rarement avare de dénonciations, rebelle à toutes les oppressions.
« L’anonymat, ce n’est pas parce qu’on a honte de ce qu’on écrit, précise Hafed, cofondateur du journal, mais, en cas de problème, cela permet d’être attaqué collectivement et non pas individuellement. » On n’est jamais assez averti. Le journal se veut un brin colérique, tantôt désabusé, tantôt revendicatif, gavé de sens. Dont les textes publiés proviennent à la fois de l’intérieur et de l’extérieur de la prison. À l’intérieur des geôles, justement, le journal n’est pas censuré. Il est simplement « retenu ». Si bien que le prisonnier peut le recevoir, abonné ou pas, mais il n’y aura pas accès avant sa sortie, au cours de laquelle il récupérera alors sous le bras sa pile de journaux et autres publications retenues jusque-là.
Créé en 2001, l’Envolée est né de l’initiative de quelques détenus. Au commencement, la radio pour support. Hafed et Olivier animent « Ras les murs » sur Radio libertaire, en 2000. Et poursuivent l’expérience sur Fréquence Paris Plurielle avec « L’Envolée », dont le titre rend hommage à la première évasion, en France, en hélicoptère, de Fleury-Mérogis (Daniel Beaumont et Gérard Dupré, en février 1981). Le magazine radiophonique émet jusqu’à 60 kilomètres autour de Paris. Pour atteindre la province, la création d’un journal s’est donc imposée. Avec la complicité d’amitiés compétentes dans la fabrication d’une publication. Qui pour le papier, qui pour la rédaction, qui pour la relecture et la correction. Aux hasards des coups de main, des coups de pouce, des volontés de bénévoles.
Pour garder toute autonomie, le journal n’est pas subventionné, et ne reçoit d’aides d’aucune organisation. Et, mine de rien, voilà maintenant huit ans qu’il paraît, à raison d’un numéro par trimestre, imprimé selon les budgets du jour, avec un tirage moyen de 500 exemplaires. Un même nombre qui entend transformer les mots en luttes. « Nous ne sommes pas les porte-parole de ceux que la prison relègue au rang de muets sociaux, rappelle l’édito de ce numéro d’automne. Les prisonniers écrivent, réfléchissent, résistent… Nous ne voulons pas penser et nous battre à leur place mais avec eux. »