Humanitaire résistant
Cofondateur de Médecins sans frontières, Rony Brauman
nous invite à tirer les leçons de quelques-uns
des grands conflits de ces vingt dernières années.
dans l’hebdo N° 1080 Acheter ce numéro
Comme tout le monde, évidemment, Rony Brauman peut se tromper. Mais ce pionnier de l’humanitaire nous a maintes fois apporté la preuve qu’il n’est inféodé à aucune camarilla ni à aucun lobby. Il n’est l’émissaire, même indirect, d’aucun gouvernement. Son propos n’est pas suspect d’arrière-pensées. Bref, l’homme inspire confiance. C’est ce sentiment que l’on éprouve tout au long de la lecture du recueil de ses articles récemment publié sous le titre Humanitaire, diplomatie et droits de l’homme. D’où vient ce sentiment ? D’abord de la complexité de l’analyse. Ici, nul slogan, nulle simplification destinée à embrigader (inutile de citer les contre-exemples : ils sont nombreux et célébrissimes). Pas de manichéisme facile. Ici, surtout, pas l’ombre d’une démagogie. Par les temps qui courent, il faut un certain courage pour oser affirmer que le massacre de Srebrenica, en 1995, n’est pas un génocide. Et cela, contre la jurisprudence du Tribunal international pour l’ex-Yougoslavie. Ou pour contester, de même, qu’il y ait eu un génocide au Darfour, en 2005. Respecter les catégories juridiques n’aboutit évidemment pas à nier l’épouvantable crime qui a frappé une partie de la population de la ville bosniaque, ni à minimiser les atrocités commises par le régime de Karthoum dans la province la plus occidentale du Soudan. C’est préserver la spécificité de la shoah, de l’anéantissement des Arméniens en 1915, et des Tutsis au Rwanda, en 1994. C’est, comme l’écrit Brauman, vouloir garder « le sens des mots ».
Le cofondateur de Médecins sans frontières refuse le « maximalisme » qui est la marque de notre temps, quand il faut coûte que coûte enrôler dans un camp et souvent, hélas, annexer l’humanitaire à des opérations militaires occidentales. Brauman ne cherche jamais à décerner les bons et les mauvais points, mais il ne s’interdit pas pour autant de désigner les coupables. Cette attitude résulte naturellement d’une certaine philosophie de l’humanitaire. C’est le principal combat de Brauman : une exigeante revendication de neutralité. Un refus de l’intervention « militaro-humanitaire » qui fit ses débuts en Somalie, puis que l’on vit à l’œuvre au Kosovo, avant d’opérer aujourd’hui en Afghanistan. Pour l’auteur, l’humanitaire ne peut pas être « l’habillage ou le supplément moral de la loi du plus fort ». Le devoir de vérité, c’est aussi parfois, face à une catastrophe naturelle, celui de dénoncer « les dangers de la surmédiatisation » et du-trop plein d’une aide devenue inutilisable. On se souvient de l’appel de Médecins sans frontières au moment du tsunami de décembre 2004, en Asie. Signe des temps, c’est la vérité qui avait créé la polémique. C’est pourtant au prix de cette morale qui refuse l’excès des effets et des mots que l’humanitaire gardera sa crédibilité.