Le regard de l’historien
dans l’hebdo N° 1081 Acheter ce numéro
C’est le regard de l’historien que Pascal Blanchard porte sur le débat sur l’identité nationale. Il nous rappelle avec profit que la question de l’identité, et jusqu’au mot lui-même, a longtemps été l’instrument des nationalistes et des antisémites, à la fin du XIXe siècle et au début du XXe. De Barrès à Déroulède, dit-il, et de Drumont à Maurras, ce thème traçait alors la « ligne de fracture » entre monarchistes et républicains. On ne s’empare donc pas impunément de cet objet de « débat » sans se rattacher à une lignée politique que Nicolas Sarkozy, même décomplexé, ne devrait pas pouvoir assumer. Même pour lui, il est moins aisé de citer Drumont que d’en appeler à Camus… Mais c’est une autre histoire qu’invoque aussi Pascal Blanchard, celle de l’immigration. Il réfute une chronologie qui voudrait que les « musulmans » soient les derniers des immigrés arrivés sur notre sol.
Et qu’ils s’y soient montrés incapables de réussir leur intégration. On a coutume d’entendre cette vulgate selon laquelle les Juifs, les Italiens, les Polonais auraient réussi là où les Maghrébins, venus plus tard, auraient échoué. L’idée sous-jacente étant évidemment que la faute viendrait d’eux et de leur religion. Là encore, le correctif de l’historien n’est pas anecdotique. Si la visibilité de l’islam pose aujourd’hui problème à une certaine France, ce n’est pas le fait des musulmans, et moins encore de l’islam en tant que tel, c’est en raison des conditions de l’immigration et des changements intervenus dans la société d’accueil. C’est par dénégation de cette dégradation des conditions sociales que Sarkozy, Besson et quelques autres invoquent la question identitaire. En suggérant que le problème, c’est l’immigré pour ce qu’il est et pour ce qu’il a « toujours » été, ils nous détournent de la question sociale. Hélas, la manipulation n’a pas seulement une vocation électorale. Elle risque de laisser des traces profondes dans notre société, et bien au-delà de l’échéance des régionales, en mars prochain.