Toute la lumière sur les visées d’EDF

EDF menace la France d’une grande panne d’électricité pour légitimer le lancement de nouveaux réacteurs nucléaires. Tandis que l’installation d’Henrio Proglio à sa tête apparaît comme le prélude à une privatisation.

Claude-Marie Vadrot  • 3 décembre 2009 abonné·es
Toute la lumière sur les visées d’EDF

Depuis quelques semaines, EDF et RTE, son réseau de distribution, promettent à la France une grande panne hivernale survenant un soir, au moment où les Français rentrent chez eux. Le coup du grand soir noir, c’est au moins la sixième fois qu’Électricité de France nous le fait depuis la fin des années 1970. Elle nous explique aujourd’hui que les 9 000 mégawatts que la France serait contrainte d’importer d’Allemagne, d’Italie et d’Espagne ne suffiraient pas pour faire face à la demande.
Déjà, au cours de la semaine du 11 novembre, EDF, qui s’est si longtemps vantée d’avoir doté le pays d’un « instrument d’indépendance incomparable que le monde entier nous envie » [^2] , a importé 5 000 mégawatts alors que le temps était exceptionnellement doux. EDF reste peu loquace sur les raisons de cette situation supposée inquiétante, se gardant bien de nous expliquer clairement que cette menace serait liée à l’indisponibilité du tiers des 58 réacteurs nucléaires existant sur notre territoire. Sans compter ceux qui ne fonctionnent pas à plein régime, pour cause de vieillissement ou d’incidents répétés. Autre information sur laquelle EDF reste discrète : ce black-out surviendrait au moment où les 40 % de foyers équipés de convecteurs électriques les mettront en route. Il y a trente ans, le pourcentage de logements chauffés à l’électricité n’était que de 2 %. Un bouleversement des habitudes qui s’explique facilement : il fallait à la fois équiper les maisons individuelles et les appartements au ­moindre coût et justifier la montée en puissance des réacteurs nucléaires décidée en 1974. Sans prêter la moindre attention à l’isolement des logements. Résultat : beaucoup de propriétaires de maison individuelle se ruinent en chauffage et les occupants des logements sociaux se retrouvent avec des factures d’électricité souvent supérieures à leur loyer.

Des arguments avancés mardi par l’association Négawatt, qui insiste également sur le mauvais état du maillage électrique de la France, sans toutefois se poser de questions sur le caractère alarmiste et intéressé de « l’avertissement » lancé par EDF aux Français. La promesse du grand « black-out » représente en effet un argument renouvelé pour persuader les Français qu’il est nécessaire et urgent de construire de nouveaux réacteurs, alors que le seul EPR normand prend du retard tout en coûtant de plus en plus cher. Au passage, l’électricien d’État rappelle aux Bretons qu’ils ne produisent que 8 % de l’électricité qu’ils consomment. Et il relance l’opération EcoWatt-Bretagne, qui consiste à se porter volontaire pour recevoir un SMS d’alerte en cas de surconsommation d’énergie. En 2008, avec 9 000 inscrits, ce fut un bide mémorable. Les Bretons ont la mémoire longue : ils se souviennent qu’EDF échoua à leur imposer la centrale de Plogoff en 1981 et qu’elle a tout fait pour torpiller les installations d’éoliennes. Alors que, dans cette région, le vent est largement plus abondant que l’uranium. Et que les écologistes réclament depuis des ­lustres la fin de la centralisation de la production et de la distribution.
Pendant ce temps-là, un certain Henri Proglio s’installe à la tête d’EDF tout en obtenant le privilège extraordinaire de rester à la tête de Veolia (ex-Vivendi) : ce qui lui permet de contrôler les 64 milliards d’euros de chiffres d’affaires de la première et les 36 milliards de la seconde. Soit le sort de 500 000 salariés en France et dans le monde. Énormité qui n’empêche pas le nouveau patron de réclamer ouvertement la tutelle, voire l’absorption d’Areva. De quoi constituer à terme le plus grand holding ­électro­­nucléaire du monde et préparer la privatisation d’EDF, RTE restant seul à capitaux public. Une façon comme une autre de mettre progressivement fin aux tarifs réglementés de l’électricité.

Ceux qui sont surpris par la double casquette – privé-public – de cet homme de 60 ans sorti de HEC en 1971 ont oublié que l’opération vient de loin puisqu’il est membre du conseil d’administration d’EDF depuis 2004 et qu’il existe déjà une filiale commune entre les deux groupes, celle qui s’occupe de mettre en place des chauffages urbains. Et, surtout, que ce prédateur qui siège également au conseil d’administration d’une banque, de Lagardère et de Casino a des obligés partout, donc dans tous les partis politiques que sa société continue discrètement à financer. Notamment en payant au prix fort des publicités dans des journaux communaux ou régionaux. Il est aussi bien l’ami de Jean-Louis Borloo, dont il oriente les choix environnementaux, que celui de Dominique Strauss-Kahn ou d’Alain Bauer, le champion des caméras de télésurveillance. Sans oublier le banquier Augustin Romanet de Beaune, à la fois membre du conseil d’administration et directeur général de la Caisse des dépôts. De quoi assurer l’avenir politique d’un groupe qui s’efforce d’habituer les citoyens des pays du Sud à payer leur eau et contrôle les services de transport privé dans la plupart des pays européens.

[^2]: Extrait d’un argumentaire datant de 1984.

Écologie
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