Une exigence de justice climatique
Réparation de la dette écologique et sociale, reconnaissance des droits des réfugiés, jugement des coupables… Les mouvements du Sud font valoir leurs revendications.
dans l’hebdo N° 1081 Acheter ce numéro
Le Klimaforum n’aime vraiment pas les marchés carbone. De même qu’ils honnissent la marchandisation du monde, les altermondialistes réunis à Copenhague voient dans la nouvelle lubie du business du climat une perversion supplémentaire, déguisée en solution pour tous face au dérèglement planétaire. « Ils ont pris nos terres, nos ressources et, maintenant, c’est l’atmosphère qui tombe dans leur escarcelle, on connaît la fin de l’histoire ! » , s’enflamme Percy Makombe, de l’Economic Justice Network en Afrique du Sud. Agrocarburants, énergie nucléaire, OGM, droits de propriété sur les transferts de technologie propres vers le Sud, etc., les « fausses solutions » sont dénoncées comme autant de « doubles peines » dans les débats du Klimaforum.
« Ils veulent jouer au jeu de l’économie ? , lance, provocatrice, la Philippine Lidy Nacpil, du mouvement Jubilee South. Eh bien, je calcule leur dette climatique. À raison de 600 trillions de tonnes de CO2 émises depuis l’ère industrielle, le Nord a déjà dépassé de 20 % son quota, si l’on considère l’équité entre les humains, dans la perspective de stabiliser le climat. Même en réduisant ses émissions de 40 % d’ici à 2020, objectif utopique des négociations, il alourdirait toujours sa dette car il faudrait aller bien au-delà pour cesser de nous priver de notre part. »
La dette climatique est au cœur des débats du Klimaforum. L’essayiste Naomi Klein, l’une des égéries altermondialistes, interpelle le Canada, son pays, qui a littéralement bafoué sa signature apposée au bas du protocole de Kyoto en explosant de 26 % ses émissions de CO2 alors qu’il aurait dû les réduire de 6 %. « Et s’il s’était agi de la rupture d’un contrat économique, que croyez-vous qu’il serait arrivé ? Pourquoi passerait-on l’éponge sur la dette climatique, comme on adorerait le faire en Amérique du Nord ? Mais il n’existe pas de bouton “remise à zéro” sur la planète Terre ! » Récupérer de l’argent ? « N’y pensez pas un instant, nous a-t-on rétorqué, vous n’aurez jamais le rapport de force nécessaire… »
Ni même la volonté ? Avec d’autres orateurs du Sud, Ibrahim Coulibaly, paysan malien, défend l’idée d’abandonner ce genre de revendication. « De l’argent du Nord, il en a coulé dans nos pays, depuis des décennies. A-t-il fondamentalement changé notre situation ? C’est trop facile d’aller quémander des sous, comme le font nos gouvernements au Bella Center.
S’imaginent-ils qu’il n’y aura pas une bardée de conditions, comme d’habitude ? C’est une honte et une perversion de mettre une fois encore l’argent au centre des débats. Il est certes nécessaire, mais, bien plus important, il faut enrayer définitivement la machine à produire de la prédation. Et s’appuyer sur des solutions locales, car nous en avons, dans nos campagnes, pour nous adapter et pour assurer notre souveraineté alimentaire. »
Une dizaine de mouvements [^2] ont saisi l’occasion du Klimaforum pour annoncer le lancement d’un processus de création d’un « Tribunal international des peuples sur la dette écologique », sur le modèle des tribunaux d’opinion nés de l’idée de Bernard Russell pour juger symboliquement les crimes de guerre des États-Unis au Vietnam. « Il faut créer un cadre légal pour mettre fin à l’impunité dont jouissent les firmes pour leurs crimes écologiques » , défend Tom Kucharz, du Permanent People’s Tribunal Alternatives. « L’heure est venue de ce genre de tribunal moral et éthique, appuie l’altermondialiste Vandana Shiva, défenseuse des droits des paysans indiens. La Bolivie et l’Équateur ont bien institutionnalisé les droits de la nature. »
Cette quête de références juridiques est déjà bien avancée dans le cercle des défenseurs du droit des migrants, qui lancent une campagne internationale pour le droit des réfugiés climatiques [^3], dont le nombre atteindrait au moins 200 millions à l’horizon 2020 [^4]. Le Bangladesh, entre autres, présente un problème épineux : alors qu’un tiers de son territoire pourrait être submergé par la montée du niveau des mers, où fuiront les exilés, dans ce pays le plus densément peuplé au monde ? questionne l’avocate Syeda Rizwana Hasan.
Pour son compatriote Ahsan Uddin Ahmed, directeur du Centre for Global Change, il s’agit de définir un statut de réfugié climatique. « Pas seulement pour les recevoir dans le respect et la dignité, précise-t-il, mais aussi pour les doter de pleins droits de citoyens dans les pays d’accueil, et pourvoir à leur intégration sociale et économique. Ne perdons pas de vue qu’il s’agit de migrations forcées, dont le Nord porte la responsabilité. » Et dont les femmes seront les premières victimes, rappellent la plupart des oratrices, car elles sont les plus pauvres et les plus discriminées au sein des populations vulnérables au dérèglement climatique.
Mais une préoccupation monte, au sein des associations traditionnelles de défense des droits humains, qui voient un péril dans la perspective d’ouvrir le débat sur l’élargissement de la définition de réfugié international, défini pour les cas politiques dans la Convention de Genève. « Ne commettez-vous pas une erreur stratégique en risquant de vous les mettre à dos ? », ose Sébastien Jodoin, juriste canadien. « Mais ne sommes-nous pas face à une situation de guerre globale, avec des conséquences dramatiques massives, une “terreur carbone” qui justifie que l’on bouscule tous les systèmes ? » , plaide Ahsan Uddin Ahmed.
[^2]: Climate Justice Now, Jubilee South, Amis de la Terre International, Focus on The Global South, Fase, Conseil mondial des Églises, etc.
[^3]: International Campaign on Climate Refugees’ Rights (ICCR). Contact :
[^4]: Voir notamment l’étude « Climate Change Violates Human Rights » de la Fondation Heinrich-Böll ().