Copenhague n’est pas un échec pour Obama
dans l’hebdo N° 1084 Acheter ce numéro
Vu des États-Unis, l’échec du sommet de Copenhague n’est pas moins patent que vu d’Europe. La différence réside dans la vision du rôle et du comportement de Barack Obama là-bas. Les Européens font porter à l’Amérique – donc à son Président – une lourde responsabilité dans l’incapacité des « puissants » (on ne dit plus « les riches » depuis que la Chine est entrée dans le club) à s’entendre, voire à se sacrifier un peu pour aider les faibles. Les Américains, y compris les plus à gauche et les plus écolos, estiment que le fiasco est imputable à une bonne douzaine de leaders, chacun ayant contribué à sa manière au gigantesque bordel ayant conduit à la Bérézina. Autre différence : sans être présenté comme un grand succès diplomatique – a fortiori climatique –, le retour au pays d’Obama est auréolé d’honorabilité. Il faut dire que la bonne volonté initiale du Président, qui entendait résoudre les crises internationales juste en changeant l’attitude des États-Unis, n’a pas débouché sur grand-chose au cours de sa première année d’exercice. Cette fois, il n’a échoué en rien, puisqu’il ne s’était fixé d’autre obligation que de faire progresser la prise de conscience des enjeux climatiques, dans le monde et surtout dans son propre pays.
Entre parenthèses, Obama et son équipe, autrefois pétris d’idéalisme quant à l’absolue nécessité de « changer » les choses – le monde, la politique, tout ! –, semblent désormais enclins au pragmatisme. Le slogan d’origine, « The change we can believe in » (le changement auquel on peut croire), s’est dilué dans les horreurs de la tentative de réforme du système médical, le labyrinthe moyen-oriental, l’intransigeance iranienne, l’urgence afghane et la complexité des enjeux climatiques.
S’il veut pouvoir gouverner pour de bon, Obama doit opter pour davantage de realpolitik. Évidemment, les supporters purs et durs du rêve obamien ont du mal à avaler ça. Aux États-Unis, mais aussi dans le reste du monde. Arrêtons-nous là-dessus cinq minutes : les Européens, qui haïssaient Bush, ont littéralement déifié Obama pendant sa campagne électorale. Certains espéraient encore le voir arriver à Copenhague en leader charismatique, rôle qu’il s’est heureusement gardé d’endosser. Le président américain est bien trop conscient d’être le leader d’une nation qui a elle-même un comportement énergétique désastreux, et dont les progrès en la matière sont très en deçà de ceux des autres pays développés. Son propre camp politique lui est presque reconnaissant de n’avoir pas joué les gros bras idéalistes et jusqu’au-boutistes à Copenhague. Que se serait-il passé, en effet, si le sommet avait débouché sur un accord costaud, assorti de réductions d’émissions importantes, quantifiées, étalées dans le temps, et qu’Obama l’ait signé ? Le désastreux scénario post-Kyoto se serait répété : après avoir négocié et signé le protocole en 1997, le vice-président Al Gore avait été vertement désavoué par le Congrès, qui avait refusé ensuite pendant douze ans de se pencher sur la question, bloquant durablement toute évolution dans le pays. Et, justement, le Sénat américain doit examiner – dès que la réforme santé sera achevée – le projet de loi énergie-climat soutenu par Obama.
Personne n’en attend monts et merveilles écologiques, mais au moins cette loi a-t-elle pour objet de réduire les émissions américaines et d’instaurer des mécanismes de financement – fixation d’un coût au carbone, négoce de permis de polluer, ou taxe, ou amende – qui permettront notamment de trouver les milliards promis pour financer l’aide climatique aux pays pauvres. Les Républicains sont bien sûr farouchement opposés à cette réforme, et ils ont de nombreux alliés démocrates parmi les élus des États charbonniers et pétroliers. Comme pour la santé, la lutte sera sanglante. Pour compliquer encore la situation, un sondage vient de montrer que 55 % des Américains ne sont pas d’accord avec la volonté du Président de s’attaquer maintenant aux questions climatiques. Si Obama était revenu de Copenhague avec un accord signé, forçant la main aux sénateurs, il aurait tout bonnement signé l’arrêt de mort avant terme de son projet de loi. Tout est question de perspective.