Évadés fiscaux : rétablir les faits
Il y a de quoi être révolté devant « l’affaire HSBC » (cette affaire de données transmises à la France par un ancien employé de la banque établie en Suisse) et la tentative de mystification de l’opinion organisée par les « puissances de l’argent » qui fustigent l’utilisation de ces données par la France dans le cadre du contrôle fiscal. Le mois de décembre a été intense en polémiques, et le moins que l’on puisse dire est que la mauvaise foi s’est complaisamment étalée, parvenant même parfois à brouiller le message de ceux qui portent la nécessité de combattre la fraude fiscale.
Mettons les pieds dans le plat : qui sont ceux qui ont dénoncé cette utilisation de fichiers ? Ne soyons pas dupes : ceux qui se posent en défenseurs des libertés poursuivent des buts plus intéressés. Ils ne font que protéger des intérêts financiers en freinant toute évolution en matière de lutte contre la fraude et argueront probablement dans quelques mois qu’il faut abandonner les contrôles fiscaux diligentés à leur endroit ou à celui de leurs clients. En réalité, il s’agit là d’un enfumage destiné à protéger des intérêts particuliers. Point barre.
Défendre l’État de droit et les libertés comme prétendent le faire les alliés des « évadés fiscaux » aurait tout d’abord consisté à condamner sans réserve le fait générateur de cette affaire : l’utilisation par des personnes qui cherchent sciemment à frauder (parfois massivement) de l’opacité offerte tout aussi sciemment par certains territoires. C’est bien le cœur du problème qui, pour le coup, touche véritablement aux libertés de tous, à l’intérêt général, à l’application de la loi, notamment de la loi fiscale, au délit qui consiste à voler la collectivité et à faire payer par les uns (les contribuables honnêtes) ce qui est fraudé par les autres ou encore aux conditions de l’activité économique, largement faussées par la fraude. Mais curieusement, pour certains, le droit s’arrête là où commence le portefeuille. Ce qui rend la critique partielle, partiale, donc irrecevable.
Tout cela ne doit pas nous détourner des véritables enjeux. Qui vole qui ? Il manque à cette question, posée par Éric Woerth à propos de « l’affaire HSBC », un complément. Le ministre aurait pu ajouter que rien de tout cela n’arriverait si chaque État jouait le jeu de la coopération et de la transparence. Au fond, cette affaire est surtout un révélateur de l’impuissance des grands États à traquer la fraude fiscale. Les États sont-ils réduits à combattre l’évasion fiscale internationale grâce à l’exploitation de données ou de renseignements achetés (l’Allemagne avec le Lichtenstein), arrachés (les États-Unis avec UBS en Suisse) ou obtenus (la France avec HSBC en Suisse) par des sources internes, faute de normes internationales claires et contraignantes en matière de transparence et d’échanges d’informations ? On ne peut que le craindre… Tout justifie donc de porter sans relâche l’absolue nécessité de disposer d’instruments véritablement efficaces, à commencer par un dispositif permettant notamment l’échange automatique d’informations.
L’interdépendance des économies, la mobilité des capitaux, la rapidité des échanges, la financiarisation de l’économie, la déréglementation et l’utilisation des nouvelles technologies ont favorisé le développement d’une fraude fiscale de plus en plus sophistiquée et coûteuse. Dans le même temps, le contrôle fiscal est resté national, la coopération est restée faible. Bref, les moyens n’ont pas suivi l’évolution de la fraude. Le gouvernement a annoncé un résultat significatif de la « cellule de dégrisement », mais l’enjeu demeure bel et bien d’adopter de nouvelles mesures. Car un constat s’impose : les États et les citoyens ne doivent pas compter sur le hasard pour combattre la fraude. Il s’agit donc, plus que jamais, d’être à la hauteur des enjeux aux plans international, européen et national face à des fraudeurs qui ont souvent un temps d’avance, et de développer les moyens de combattre la fraude fiscale, pour en finir avec les pratiques des paradis fiscaux et avec l’évasion fiscale. Qui est contre ?
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