Grippe A, les raisons du fiasco
Pour Pierre Le Coz*, la gestion de la pandémie en France met en évidence un défaut de démocratie.
dans l’hebdo N° 1084 Acheter ce numéro
Politis : Cinq millions de personnes vaccinées à ce jour contre 94 millions de doses de vaccins anti-H1N1 commandées pour un coût – 869 millions d’euros – supérieur au déficit de l’hôpital public : est-on encore dans le principe de précaution ou plutôt dans une stratégie de relance de l’industrie ?
Pierre Le Coz : Avant son avis 106 sur les questions éthiques soulevées par une possible pandémie grippale, le Comité consultatif national d’éthique (CCNE) avait rendu un avis (79) sur le principe de précaution. Il distinguait une utilisation maximaliste : « Dans le doute, ne prendre aucun risque », d’une version procédurale : « En cas de risque, mettre en place une procédure de discussion en réunissant des experts, des scientifiques, des sociologues, des représentants des citoyens », sans omettre les médecins de ville, auxquels il aurait été judicieux de donner la parole. Mettre les risques en balance, en discuter de façon collégiale, est le plus sûr moyen d’éviter des réactions de refus, de panique ou des dérives telles qu’une vaccination manu militari par exemple… Avec la campagne de vaccination contre la grippe A en France, on se situe très clairement dans une utilisation maximaliste du principe de précaution. Il y a, bien entendu, des questions d’argent en jeu. Les laboratoires ont saisi l’aubaine pour se faire de la publicité, comme on a pu le voir dans certains grands colloques nationaux. Ce n’était pas en culpabilisant les gens qu’on allait les convaincre de se vacciner. Le retournement de situation actuel passerait presque pour comique si le gaspillage n’était pas aussi énorme.
La France revend ses vaccins : les pays pauvres vont-ils finalement bénéficier de la situation ?
Cette histoire de rachat de nos vaccins me désarme : l’épidémie est passée, elle s’est révélée moins virulente que ce que certains craignaient. Les pays potentiellement acheteurs comme l’Égypte ou le Qatar savent que le risque réel a été surestimé. Ils ne sont pas plus exposés que nous. Et ils bénéficient du recul de l’expérience : il peut y avoir des cas très graves, mais ils sont très rares. Quant à la possibilité d’une « deuxième vague », on se situe de nouveau dans le virtuel.
Quelles leçons tirer de ce fiasco ?
La question éthique n’a pas été abordée. La pandémie de grippe A a été gérée de manière purement technocratique et administrative : on a appliqué un programme à une population considérée comme une masse inerte et non comme une dynamique avec ses passions et ses suspicions. Une gestion démocratique implique l’organisation d’une table ronde avec des avis contradictoires. Le CCNE, qui avait pourtant travaillé en amont sur l’anticipation d’une pandémie, n’a pas été consulté. Nous avions pourtant réfléchi en prenant en compte ce qu’est un être humain dans ce genre de situation : pas seulement un corps que l’on vaccine mais un être avec ses motivations, ses craintes, sa subjectivité. Cette campagne de vaccination interroge aussi l’ordre des priorités que se fixe le ministère : on ne peut pas se serrer la ceinture d’un côté et être dispendieux de l’autre. Le gouvernement a voulu se prémunir contre un scénario noir du type « canicule de 2003 ». Mais sans s’interroger sur l’adhésion de la population. D’où le fiasco.