Gus Massiah : « Nos idées ont été validées par la crise »

Le 10e Forum social mondial s’est ouvert mardi à Porto Alegre, au Brésil. À la veille de cette réunion, Gus Massiah dresse un bilan de la décennie altermondialiste. Le mouvement a remporté des succès idéologiques, mais doit toucher la sphère des décisions.

Denis Sieffert  et  Léa Barbat  • 28 janvier 2010 abonné·es
Gus Massiah : « Nos idées ont été validées  par la crise »
© [Centre de recherche et d’information pour le développement, collectif de 55 associations françaises de solidarité internationale. ](www.crid.asso.fr)

Politis : Vous vous apprêtez à partir à Porto Alegre pour participer au 10e Forum social mondial. Comment se porte le mouvement altermondialiste ?

Gus Massiah : Il se porte bien. C’est un mouvement qui a une histoire, mais aussi beaucoup d’avenir. Et de questions à surmonter et à approfondir. Nous aurons une discussion sur le bilan des dix ans de Porto ­Alegre – qui ne sont pas les dix ans du mouvement altermondialiste, qui remonte, lui, à la fin des années 1970, avec la montée du néolibéralisme. Les Forums sociaux mondiaux (FSM) ne sont que la troisième phase du mouvement. Ils succèdent à une première époque de lutte contre les politiques d’ajustement structurel du FMI et de la Banque mondiale, en Amérique du Sud notamment ; puis à une seconde, contre la remise en cause de la protection sociale, contre la précarisation en Europe, aux États-Unis, en Corée… Nous sommes donc dans une troisième phase, celle des forums sociaux, qui ont maintenant 10 ans, dont nous allons discuter, et que nous évaluerons lors de cette réunion de Porto Alegre. Une question se pose aujourd’hui : entrons-nous dans une quatrième phase avec la mobilisation de Copenhague ?

Les médias semblent moins s’intéresser au mouvement. Après l’engouement des premières années, peut-on parler de déclin ?

Je ne pense pas. Il n’y a pas un désintérêt de la part des médias, mais plutôt une banalisation des idées altermondialistes. D’une certaine manière, elles ont été validées par la crise de 2008. Le mouvement a montré très tôt qu’il y avait des contradictions extrêmement violentes dans le système économique néolibéral. Nous avons mis en avant les grands risques de crise. Quand la crise a éclaté, les propositions du mouvement ont été acceptées comme seules bases solides. Par exemple : la nécessité de contrôler les grandes banques, celle de réguler le commerce mondial… Aujourd’hui, les gouvernements discutent de ces solutions et les reprennent même parfois à leur compte, y compris les gouvernements capitalistes, car il n’y a pas ­d’autres pistes crédibles. Cependant, on sait aussi que le rapport de force est insuffisant pour que toutes ces propositions soient réellement mises en œuvre et qu’il en résulte un changement réel. Quand on écoute les discours de Nicolas Sarkozy ou de Gordon Brown, on se rend compte qu’ils cherchent juste à gagner du temps et à sauver le système dominant.

Les idées altermondialistes auraient donc fait école,
mais aux dépens des altermondialistes eux-mêmes ?

Cela ne se fait pas aux dépens du mouvement. On distingue deux niveaux, celui de la bataille idéologique et celui de la bataille politique. Une partie des idées du mouvement se sont imposées comme acceptables, mais ces idées, certes acceptées, ne se sont pas traduites par des politiques. Il y a toujours un problème de rapport de force et de pouvoir. Il ne suffit pas d’avoir des idées, il faut que les gouvernements les appliquent. On sait très bien qu’ils ne le feront pas. Il faut donc construire les rapports de force pour que ces idées s’imposent comme des politiques.

Dans un document que vous avez préparé à la veille du FSM, vous évoquez plusieurs types de réponses possibles à la crise, autour de différents pôles. Quels sont-ils ?

Il existe effectivement plusieurs scénarios possibles. Le premier est celui des puissances dominantes, du G20, qui consiste à continuer comme avant, à adopter des solutions provisoires et à reprendre ensuite les politiques néolibérales comme la domination de la finance ou le partage de la richesse en faveur des actionnaires… Mais est-ce possible ? Pour nous, ce n’est pas possible. Cette crise est structurelle, et quelques mesures ne répondront pas à la situation actuelle. Il y a aussi un danger qui plane si cette crise s’approfondit : certains dirigeants sont tentés d’adopter des solutions plus violentes de répression, de conflits, de déstabilisation, de guerre, afin d’imposer une sortie de crise qui ferait payer les plus pauvres de chaque pays, et les pays les plus pauvres. C’est ce qu’on pourrait appeler un conservatisme de guerre.
Évidemment, ce n’est pas la seule issue possible. La commission Stiglitz propose un « Green New Deal », une refondation de l’économie qui investirait dans un capitalisme vert et proposerait une redistribution des revenus et une régulation mondiale plus forte. Cette solution ne répond pas à la question des inégalités et reste assez productiviste. Au sein des forums sociaux, nous tentons de remettre en cause les mécanismes du capitalisme en cherchant des nouveaux modes de consommation et de comportements.

Par quels moyens pouvez-vous faire évoluer les choses ?

L’évolution d’une société ne se fait pas du jour au lendemain, mais par des processus. Elle implique des ruptures et des aménagements. Il faut d’abord considérer que la société dans laquelle nous vivons n’est pas acceptable car le changement vient de la résistance. Dans chaque lutte contre l’injustice, il y a une proposition concrète. Regardez, par exemple, les paysans qui combattent les OGM, ils proposent également une agriculture paysanne. Le travail s’exerce aussi par les experts, les chercheurs. Il y a une alliance entre le mouvement altermondialiste et les luttes. Des pratiques alternatives existent déjà dans la société, qu’il faut reprendre et amplifier, et enfin imposer par des politiques.

Qu’attendez-vous de cette réunion de Porto Alegre ?

En 2010, il y a une succession d’initiatives menées par les forces locales un peu partout dans le monde : à Cochabamba, en Bolivie, pour discuter des suites de Copenhague ; à Cuzco, au Pérou, organisées par les mouvements indigènes sur la crise de civilisation ; aux États-Unis, sur l’évolution des politiques américaines… Il y aura une trentaine d’événements majeurs où naîtront des réflexions et des pratiques sur la possibilité de contester la situation actuelle et de construire des ­pro­positions de dépassement.

Quel est votre bilan des FSM ?

C’est l’expression d’un mouvement historique extraordinaire qui se définit d’abord comme un mouvement d’émancipation, de reconstruction du monde, qui reprend et renouvelle les grands mouvements historiques précédents. C’est un mouvement qui reprend à son compte les luttes anticoloniales et la domination des pays du Nord sur les pays du Sud, mais aussi la lutte sociale et ouvrière.
Ce mouvement apporte une dimension nouvelle : la convergence des mouvements sociaux. On y retrouve à la fois une diversité et une unité. Il est beaucoup plus riche et divers, et s’appuie sur une multitude de mobilisations. Il met en avant la reconstruction d’une culture politique. Et, pour la première fois, c’est un mouvement qui se définit réellement à l’échelle mondiale.

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