Homme d’expériences
On ne saurait réduire Django Reinhardt,
né il y a un siècle,
à un « jazz manouche » inventé après lui. Il fut
un perpétuel innovateur.
dans l’hebdo N° 1085 Acheter ce numéro
Django Reinhardt (1910-1953) aurait eu cent ans le 23 janvier. Partout, ou presque, les célébrations de ce centenaire sont placées à l’enseigne de la « manouchitude » et programment des guitaristes d’origine tzigane ou jouant dans un style labellisé « jazz manouche ». Cela témoigne d’une vaste méprise qui l’enferme dans une catégorie artificielle bien trop étroite pour le contenir.
Jean-Baptiste Reinhardt est né à Liverchies, en Belgique, au sein d’un groupe manouche, rameau de l’ensemble tzigane poussé dans les pays germaniques et qui essaima dans toute l’Europe. Dès l’âge de 12 ans, il maîtrise le banjo et la guitare, non pour jouer de la musique « tzigane » – indéfinissable car caractérisée par des traits d’interprétation et le mélange plus que par une substance musicale –, mais de la musique de danse, auprès d’accordéonistes célèbres. Sa main gauche gravement brûlée en 1928, il doit réinventer une technique de manche à trois doigts. C’est en 1931 seulement qu’il découvre le jazz. Il continue à jouer en baloche, dans les fosses des music-halls, mais s’intègre au petit milieu du jazz parisien. Il y rencontre Stéphane Grappelli, et, à l’initiative de Charles Delaunay, se forme autour d’eux le Quintette du HCF, au sein duquel l’art du guitariste va s’épanouir : il y montre qu’un Européen peut non seulement jouer à l’égal des Américains, mais ouvrir au jazz des voies originales.
L’histoire ne s’arrête pas là : Django ne cesse d’innover, avec d’autres formations puis, après la Libération, avec de jeunes musiciens be-bop. À la veille de sa disparition, il s’affirme, sur un instrument amplifié, comme un des meilleurs guitaristes de jazz moderne. Passage de témoin symbolique, sa dernière séance d’enregistrement l’associe à un pianiste venu lui aussi des marches de la France, Martial Solal, qui incarnera à son tour la particularité du jazz de France. Ce n’est donc pas chez ceux qui imitent aujourd’hui le Django des années 1930 qu’il faut chercher sa postérité mais chez ceux qui, tels Biréli Lagrène ou Benoît Convert (de l’équipe Seimer # 607), ont entretenu son goût de l’expérimentation.