Jacques Boutault : «Tout marche ensemble : l’écologie et le social»
Il n’y a peut-être pas beaucoup d’arbres dans le IIe arrondissement de Paris, mais les cantines y sont bios ! Son maire s’emploie à verdir la ville par l’explication et la concertation avec les habitants. Rencontre avec un élu très investi, à l’heure où la démocratie locale est menacée.
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Jacques Boutault, maire Vert du IIe arrondissement de Paris, n’a guère le temps de s’ennuyer. Réélu largement en 2008 pour un second mandat, il tient, depuis le début, à exercer ses prenantes fonctions en conservant un emploi à mi-temps dans une agence de Pôle emploi dans le nord-est de la capitale : « Le comportement écologique, cela consiste d’abord à vivre comme les autres, à avoir les mêmes soucis, y compris dans les transports en commun. Ce qui permet de rester dans la réalité, de la comprendre. » Dans cette logique, qui peut aussi être considérée comme une éthique, il refuse la voiture et le chauffeur normalement attribués aux maires d’arrondissement parisiens. Ses concitoyens le rencontrent donc dans le métro sur la ligne 11, ou juché sur son vélo. Cela explique, vu l’exiguïté de sa circonscription, qu’il soit connu de la plupart de ses électeurs. Pourtant, le IIe arrondissement, pauvre en espaces verts et riche de grands bâtiments officiels, n’a rien d’un village.
Dans un espace au sein duquel le maire ne dispose légalement que de pouvoirs limités, il n’était pas facile d’organiser des comportements écologiques, qu’il s’agisse des économies d’énergie, de la circulation ou de la gestion des services municipaux. Au cœur d’une grande ville où l’écologie, malgré la pression des élus Verts, n’est pas vraiment le souci dominant du maire, les marges de manœuvre restent étroites. Jacques Boutault se souvient avec amusement (maintenant…) de la difficulté rencontrée, après sa prise de fonction, pour équiper sa mairie, puis les bâtiments qui en dépendent, d’ampoules à basse consommation. Les employés municipaux en ignoraient l’usage et l’existence. De plus, les formulaires de commande ne prévoyaient pas cet équipement. Avec ses adjoints, il résolut donc, dans un premier temps, d’aller les acheter puis de les changer lui-même. Restait à convaincre l’équipe municipale. Ce fut long mais, comme cette inertie relevait surtout de la conséquence d’une routine, cela finit par se faire, et sans drame. Mais monsieur le maire ne souhaite pas que l’on s’arrête à ce genre de détails : « Il faut expliquer, c’est tout. » Et prouver que l’on fait des économies.
Pour Jacques Boutault, la gestion écologique d’un arrondissement implique également « la démocratie participative, l’environnement de la vie quotidienne et une préoccupation permanente pour les plus démunis. Pour moi, tout marche ensemble. On ne peut pas écologiser un quartier sans se soucier de ceux qui sont le plus meurtris par la vie, par la crise. Impossible de gérer écologiquement si cela se fait contre les gens, sans explication. C’est pour cela que nos trois conseils de quartier sont le plus ouverts possible, les collèges des habitants y sont majoritaires, les élus n’y ont pas de droit de vote, et seuls les habitants peuvent élire le président d’un conseil. Système qui fonctionne aussi bien dans l’ouest de l’arrondissement, le plus riche, que dans le quartier Montorgeuil, zone commerçante à la sociologie très contemporaine, ou dans le quartier du Sentier ». Ce dernier passe progressivement de l’économie de la fringue à l’économie numérique, les Turcs, les Chinois et les Arméniens ayant remplacé en partie la population à dominante juive. « C’est de plus en plus Silicone Sentier », dit le maire, assez satisfait d’y avoir réuni 40 % des voix au premier tour lors de sa réélection de 2008, et qui précise que sa municipalité a aidé le quartier à se restructurer, « pour qu’il y ait là un équilibre entre la tradition, la nouvelle économie et les bureaux de communication qui apprécient beaucoup le quartier ».
Côté espaces verts, le quartier est difficile ; le maire n’a réussi à planter que 75 arbres, et la seule friche du quartier, 77 mètres carrés, a été aménagée en square verdoyant. Difficile de faire plus et mieux dans une zone au sous-sol complexe, où l’administration des Bâtiments de France refuse obstinément des plantations sur les parvis. Pourtant, gravures et photos anciennes (le maire en a affiché dans son bureau) montrent qu’il y avait autrefois des arbres un peu partout, y compris place de la Bourse. Une pesanteur administrative hors de portée de la volonté de Jacques Boutault.
Le maire a donc fait porter son effort sur un domaine où nul ne peut contester ses pouvoirs : le menu des cantines scolaires, qui servent 1 600 repas par jour, et dont les produits sont 60 % bios. « Je vise les 100 % pour bientôt et sans augmentation de prix. Nous faisons attention à tout. Par exemple, la farine de notre pain vient du Vexin, et chaque habitant du quartier peut aller voir pousser le blé qui sert à l’élaborer. Une fois, croyant bien faire, notre gestionnaire a servi des pommes bios en provenance d’Argentine. On a hurlé, évidemment, et je pense qu’il a compris. Mais cela montre qu’il faut vraiment penser à tout, expliquer et réexpliquer que nous ne sommes pas dans une mode mais dans une autre démarche. Notamment pour les fruits et légumes, qui doivent être de saison. Pour le bio, comme en 2001 nous sortions de l’affaire de la vache folle, nous avons commencé par le bœuf. Les parents nous ont manifesté, au début, une neutralité attentive, et ensuite ils ont commencé eux-mêmes à acheter du bio à la demande des enfants. Les gosses deviennent prescripteurs et, dans le quartier, il y a de plus en plus de boutiques spécialisées en bio. Lors d’une dernière étape, pour laquelle il a fallu expliquer, discuter, négocier avec les parents et les enfants, nous avons mis en place un repas végétarien par semaine, le mardi. Au début, cela a été difficile mais, maintenant, ces repas, dont l’équilibre est vérifié par des diététiciens, sont bien acceptés. »
Le maire aussi, comme en témoignent nombre de passants rencontrés.