La retraite à 60 ans, à taux plein !
dans l’hebdo N° 1087 Acheter ce numéro
la droite l’affirme : « Débattre de l’âge légal de la retraite ne sert à rien. » Seul compterait l’âge « réel » du départ. Elle se félicite néanmoins que « saute » le « tabou » de la retraite à 60 ans. C’est qu’effectivement subsistent quelques liens entre âge réel et âge légal de départ en retraite. Et c’est pourquoi il ne faut rien céder sur l’âge légal !
Le premier lien concerne le million de salariés qui ont déjà cotisé tous les trimestres nécessaires à une retraite à taux plein. À présent, ils restent au travail jusqu’à 60 ans. Demain, ce serait jusqu’à 61 ou 62 ans, si sautait le verrou du droit à la retraite à 60 ans. Or, il s’agit d’abord de salariés peu qualifiés, occupant des tâches d’exécution. Ceux dont l’espérance de vie moyenne est la plus courte.
Le second lien entre âge légal et âge réel de la retraite concerne les retraites complémentaires. En 2000, le Medef voulait refuser que l’Arrco et l’Agirc financent les retraites complémentaires du secteur privé entre 60 et 65 ans. La mobilisation de deux millions de salariés l’avait fait reculer. Différer l’âge légal de la retraite serait, pour lui, un solide levier pour mettre son chantage à exécution, lors de la négociation sur les retraites complémentaires, en 2010.
Mais, nous dit-on, les allongements de durée de cotisation imposés ces dernières années rendent caduc le maintien de la retraite à 60 ans. Pour partir à 60 ans, ne faut-il pas que les salariés aient cotisé 41 ou 42 ans pour jouir d’une retraite à taux plein ? Les discours gouvernementaux oublient – mais à dessein – un fait central : la durée moyenne de cotisations est restée aujourd’hui, dans la vie réelle, de 37,5 annuités de cotisation. Car deux salariés du privé sur trois ne sont plus au travail avant 60 ans. Ils sont au chômage, en préretraite, en maladie, en invalidité. On compte, dans ce pays, 4 millions de chômeurs, un million en fin de droits, 600 000 chômeurs partiels contraints, 15 % de précaires. Le montant des retraites perçues a déjà baissé, avec la prolongation des durées nécessaires de cotisation à 41 ou 42 ans. Reculer la retraite à 61 ou 62 ans l’abaissera encore. Mais cela concernera peu les directeurs financiers, qui cotisent auprès d’assurances privées. Diminueront les retraites des salariés aux revenus faibles ou moyens. On nous parle de démographie : nous connaissons un « boom » des naissances. Quand seront maintenus les seniors au travail, les jeunes n’en auront pas.
Il faut parler « richesses ». Et le Conseil d’orientation des retraites le soulignait, en 2001 : sur quarante ans, la richesse de la France (avec un taux de croissance modéré, de l’ordre de 1,7 % par an) devrait doubler en termes réels (hors inflation). Avec une augmentation de 1 700 milliards d’euros de la richesse nationale, en 2050, comment nous faire croire qu’il est impossible de financer les 200 milliards d’euros supplémentaires (6 % du PIB) nécessaires au maintien des retraites telles qu’elles étaient avant les contre-réformes Balladur et Fillon ? Il resterait même, après renflouement du financement des retraites, 1 500 milliards d’euros pour les salaires directs, les investissements publics et privés ! Cette donnée est exclue du débat public. Pour une raison simple. L’augmentation prévisible de la richesse nationale doit-elle aller aux salaires et aux retraites, ou aux profits, au Fouquet’s, aux propriétaires de « Rolex avant 50 ans » ? Et tant pis si plongent dans la pauvreté la majorité des retraités. À partir des « beaux quartiers », ces retraités-là, personne n’en connaît.
En réalité, dès 2001, le Conseil d’orientation des retraites spécifiait clairement les choix offerts. Premier choix : ne pas augmenter les cotisations retraites et ne pas diminuer le montant des retraites. Il aurait fallu augmenter de 9 ans la durée de cotisation. Deuxième choix : ne pas augmenter les cotisations retraites et ne pas allonger la durée des cotisations. Dans ce cas, les retraites auraient diminué en moyenne de 78 % à 43 % par rapport au salaire net, soit pour un salaire net de 1 200 euros, une retraite de 516 euros au lieu de 936 euros. Troisième choix : ne pas allonger la durée de cotisation, ne pas baisser le montant des retraites, mais augmenter de 15 points le montant des cotisations retraites entre 2003 et 2040.
Jamais cette troisième option n’a pénétré le débat public. C’est pourtant l’option la plus acceptable. Car 15 points d’augmentation des cotisations en un peu moins de 40 ans représentent 0,37 point d’augmentation des cotisations retraites par an, pendant 40 ans. À raison d’une augmentation de 0,25 % pour les cotisations patronales et de 0,12 % pour la part salariale des cotisations retraites. Qui prétendra que cette solution n’est pas préférable à un allongement de 9 ans de la durée de cotisation ou à une baisse de 25 points du montant des retraites ? C’est la discussion de cette option qu’il faut imposer au Medef et au gouvernement. Pour préserver ce droit qu’est la retraite à 60 ans à taux plein, un reversement à 75 %, pas de retraite inférieure au Smic, et avec une durée de cotisation qui coïncide avec la durée réelle des carrières.