Le même droit de vote pour tous
La campagne des régionales sera l’occasion de poser à nouveau la question de la participation des résidents étrangers aux élections.
Les propositions actuelles de la droite sont discriminatoires.
dans l’hebdo N° 1087 Acheter ce numéro
Dans son livre Pour la nation, Éric Besson relance l’idée d’introduire le droit de vote des immigrés aux élections municipales. Le ministre propose de réserver ce droit « aux ressortissants des pays qui furent colonisés par la France, qui sont des pays francophones, qui ont appartenu à notre République, et qui sont aussi ceux qui entretiennent avec elle les liens les plus profonds et anciens » – mais seulement dans une dizaine d’années.
La sollicitude du ministre pourrait s’employer immédiatement dans son domaine de compétence : des milliers de travailleurs sans papiers sont en grève depuis des semaines, beaucoup proviennent de pays anciennement colonisés. Que ne les régularise-t-il pas immédiatement ? Cela rendrait service à certains employeurs, à l’économie et même aux finances publiques. Sans besoin de modifier la Constitution.
Un autre domaine mérite l’attention d’un ministre qui se préoccupe des liens anciens et profonds avec des pays qui furent colonisés : les naturalisations.
Un de ses collègues a reconnu qu’il y avait des contrôles policiers au faciès. Est-il sûr qu’il n’y a pas des naturalisations au faciès ? Le taux de refus ou d’ajournement des naturalisations par décret varie beaucoup suivant la nationalité d’origine des demandeurs. Il croît en fonction d’une échelle colorimétrique : plus la peau est sombre, plus la proportion de refus et d’ajournements est importante. Cela touche particulièrement les ressortissants des pays autrefois colonisés. Le ministre peut se pencher sur une constatation connue depuis des années, signalée par une question écrite de Martine Billard, députée, au ministre de l’Intérieur, pour en trouver les raisons et y porter remède [[Lire « Les naturalisations de 1992 à 1995 », Migrations Société, vol. 10, n° 57, mai-juin 1998 p. 119. « L’autruche républicaine ! », Paul Oriol, Migrations Société, vol. 13, n° 77 septembre-octobre 2001.
« Note sur les naturalisations en France en 2006 », Migrations Société, vol. 21, n° 123-124, mai-août 2009.]].
Les habitants de France sont divisés en castes politiques : les nationaux ont le droit de vote et d’éligibilité à toutes les élections, les citoyens de l’Union européenne ne peuvent participer qu’aux élections municipales et européennes, les ressortissants des États tiers sont exclus de toute élection politique. Et, hors castes, les sans-papiers.
Éric Besson avance l’idée d’étendre le droit de vote pour les seules élections municipales aux seuls ressortissants des anciennes colonies. Cette prise de position et celles de Nicolas Sarkozy ou de quelques personnalités importantes de la droite montrent que les choses sont en train de changer. Mais la prestation est cacophonique : Nicolas Sarkozy, président de la République et chef de l’UMP, est pour le droit de vote après dix ans de séjour et sous réserve de réciprocité ; Éric Besson, son ministre de l’Immigration et secrétaire général adjoint de l’UMP, est pour le droit de vote seulement des anciens colonisés. Pour eux, la citoyenneté n’est plus indissolublement attachée à la nationalité française. Quant à leurs petits camarades, ils continuent à se faire peur devant une réforme qu’ils savent pourtant inéluctable.
Sarkozy et Besson, donc, veulent réserver le droit de vote à certaines nationalités, mais pas les mêmes. L’un aux ressortissants des pays qui passeront une convention de réciprocité, l’autre aux anciens pays colonisés. Pour le premier, il faudra près de 200 conventions, dont certaines avec des régimes très peu démocrates, avant que tous les étrangers puissent voter ! Quant au second, dix ans pour que les anciens colonisés puissent voter… et l’éternité pour les autres ?
Éric Besson copie le Royaume-Uni, mais il y a des dizaines d’années que les ressortissants du Commonwealth y ont le droit de vote et d’éligibilité à toutes les élections ! Manœuvres de retardement, après un débat national qui dure depuis plus de vingt ans ? Et manœuvres de division de ces résidents étrangers, dont le vote sera conditionné par la nationalité dans le temps même où on leur demande de ne pas céder au communautarisme !
Sur tout l’arc parlementaire, des voix se sont élevées en faveur du droit de vote des résidents étrangers aux élections locales. Sont résolument opposées l’extrême droite et la droite extrême. Et encore, personne ne parle de revenir sur le droit de vote des citoyens de l’Union européenne.
L’opinion publique est souvent invoquée, alors que le dernier sondage, après la prise de position d’Éric Besson, donne 55 % de favorables contre 42 % en ce qui concerne les élections municipales. Et, depuis 1999, de multiples sondages de la Lettre de la citoyenneté (2) sur les élections municipales et européennes vont dans le même sens. Quant aux régionales, le seul sondage réalisé à ce jour, en 2008 ^2, donne 56 % de réponses favorables, 50 % pour les personnes qui se disent proches de la droite. En sera-t-il question pendant cette campagne ?
Bien qu’accusée par la droite, ce n’est pas Martine Aubry qui a ressorti la question. Mais Éric Besson qui a remis en selle, une fois de plus, le FN, et a permis à Martine Aubry de faire événement en reprenant une proposition de loi adoptée à l’Assemblée nationale en mai 2000 et enterrée sur le bureau du Sénat par Lionel Jospin et les socialistes.
Dans un pays attaché au principe d’égalité, le droit de vote doit être reconnu à tous pour toutes les élections. Le minimum serait de traiter tous les étrangers de la même façon et de donner aux ressortissants des États tiers les mêmes droits qu’aux citoyens de l’Union européenne : le droit de vote et d’éligibilité pour les élections municipales et européennes. À défaut, on séparera encore les bons étrangers des… autres.