Plus de « paix » ou plus d’« ordre » ?
Les rapports entre la population et la police se sont dégradés. Ce n’est pas tant l’institution qui est en cause que son manque de démocratie interne, de déontologie et, curieusement, d’effectifs.
dans l’hebdo N° 1086 Acheter ce numéro
Gardiens de la paix ou forces de l’ordre ? Deux conceptions s’opposent. La première défend une police au service des citoyens et qui fait un usage raisonné de la force. Ce n’est pas celle qui a cours. « Des mauvais traitements policiers, des injures racistes et des utilisations abusives de la force continuent d’être signalés tandis que les procédures d’enquête sur ces allégations ne sont toujours pas à la hauteur des normes requises par le droit international » , dénonce un rapport d’Amnesty International ( France, des policiers au-dessus des lois, 2 avril 2009). Le 9 décembre, le ministre de l’Intérieur lui-même a reconnu la réalité du contrôle au faciès, mais a ajouté : « L’IGS [Inspection générale des services] est une instance qui fonctionne bien et sanctionne à ce titre 2 500 policiers par an. L’immense majorité des policiers, gendarmes et des forces de sécurité en France est républicaine ». Reste à savoir si « républicain » a le même sens pour tout le monde. « Nous avons choisi ce métier mus par un idéal de service, pour faire respecter les lois de la République, protéger la vie, les biens, les droits de nos concitoyens, déclare un collectif de policiers dans une tribune intitulée “Une police républicaine pour la paix civile” ( l’Humanité, 7 avril 2007). Nous sommes fiers de cet idéal […], fiers d’être policiers. Mais nous avons honte de ce qu’on nous fait faire, de l’image que donne d’elle-même notre institution. » Deux positions que l’on entend rarement, du côté du ministère comme du côté des policiers. Le premier, accusé de « couvrir les bavures » ; les autres, soupçonnés d’un esprit de corps tel que la loi du silence viendrait masquer les dérapages.
Aujourd’hui, ce n’est pas tant l’institution qui est en cause que la manière dont elle fonctionne et agit. Soumise aux exigences comptables. « Vous devrez fixer chaque année des objectifs quantifiés d’amélioration du taux d’élucidation, de répartition de vos moyens d’action », avait prévenu Nicolas Sarkozy en 2002. « La police est gérée comme une entreprise qui doit remplir des quotas. On nous réclame toujours plus de résultats avec moins de moyens » , déplore Yannick Danio, porte-parole de l’Union SGP-Unité police. En 2007, pas moins de 5 000 suppressions de postes étaient envisagées dans le cadre de la Révision générale des services publics (RGPP) ; 2018 sont prévues en 2010. Dans les cinq ans, la cure devrait atteindre près de 10 % des 80 000 effectifs de la police en tenue. Des polices municipales se mettent en place, réduisant la mission d’État.
« Ce n’est pas la police dans son entier qui pose problème, estime Mohammed Mechmache, président de l’association ACLefeu, mais une minorité de policiers. » Minorité « qui fait figure de “bande d’en face” dans les quartiers, résume Jean-Pierre Dubois, président de la Ligue des droits de l’homme (LDH). C’est comme si certains étaient lâchés sur le mode : “Allez-y, on vous couvre. ” Ils font du tort à toute l’institution. » D’où ces premières suggestions pour changer le visage de la police : mettre fin à la « religion du chiffre » et arrêter « cette utilisation militaire des policiers ».
Le 29 décembre, à l’initiative, entre autres, du Cran, de la LDH et d’ ACLefeu, un collectif « Police + Citoyens » a demandé au gouvernement la mise en place des attestations de contrôle policier. « Chaque contrôle se verrait assorti d’une attestation avec date, lieu et motif, explique Jean-Pierre Dubois. Cela pour compliquer les contrôles systématiques et injustifiés, mais aussi montrer que les policiers agissent dans un cadre légal. Conséquence : le fonctionnaire est légitimé, et la personne reconnue dans ses droits. » Pas certain que la proposition plaise aux premiers concernés : « De nombreux collègues se sentent déjà sous pression et surveillés par tout le monde, témoigne un policier. De leur point de vue, ils sont des boucs émissaires. Après le fait de filmer gardes à vue et arrestations, cette proposition va être vécue comme un poids supplémentaire. » « C’est une proposition symbolique, précise Jean-Pierre Dubois. Pour que les gens puissent se sentir en sûreté en présence de la police, il faut que celle-ci se montre respectueuse des droits des citoyens. »
C’est pourquoi Benoît Narbey, secrétaire général de la Commission nationale de déontologie de la sécurité (CNDS), plaide pour une « police non corporatiste » et « transparente » : « Les fonctionnaires se protègent mutuellement alors qu’il faudrait identifier les abus, les sanctionner, et qu’ils ne rejaillissent pas sur les autres. » Et de souligner le manque de recul et de réflexion sur les actes perpétrés par les policiers au cours de leur exercice, le manque d’encadrement, de mixité générationnelle dans les équipes, de formation… L’application du code de déontologie de la police nationale suffirait à améliorer grandement l’image de cette institution. Mais qui pour le faire respecter ? « Commission indépendante, la CNDS est menacée, alerte Jean-Pierre Dubois ; forcément, c’est un contre-pouvoir. » Ce qui n’est pas le cas de l’IGS. « Si l’on veut changer la police, il faut commencer par démocratiser ses structures » , défend un gardien de la paix. « Et en revenir à la police de proximité » , martèle Hassan Ben M’Barek, porte-parole du collectif Banlieue respect. Si l’affrontement entre la police et les jeunes est « une vieille histoire », la méfiance de la population est récente. « Or, seul un dialogue permanent permet de prévenir des débordements », affirme Yannick Danio. La police de proximité est « une police de riches », au sens où elle réclame des moyens humains importants et ne peut montrer d’amélioration que sur le long terme. « Mais la situation n’a jamais été aussi explosive » , alerte Mohammed Mechmache. Faudrait-il donc plus de police pour une meilleure police ?