Pourquoi la pilule passe mal

Le débat sur les grossesses précoces et la contraception des jeunes pose à nouveau la question de leur autonomie et du regard social sur leurs pratiques sexuelles.

Ingrid Merckx  • 14 janvier 2010 abonné·es
Pourquoi la pilule passe mal

Pris à son propre piège. Voici un an, le gouvernement décidait de baisser les subventions accordées au Planning familial : – 42 % pour le montant affecté au conseil conjugal et familial dans la loi de finances 2009. « L’État montre sa volonté d’abandonner les missions qui sont les siennes quant à l’accueil, l’information et la prévention concernant la contraception, la fécondité, la sexualité » , dénonçait une pétition de soutien au Planning. Un an plus tard, le ministre de l’Éducation prépare un décret favorisant l’accès anonyme et gratuit des jeunes filles à un contraceptif via un médecin de leur choix, ce qui pourrait pallier l’absence de centres de planification dans certaines régions notamment rurales. Et la boucle est bouclée. Personne n’est encore en mesure de dire de quoi le décret sera fait. Il est en « phase de réflexion » , assure le ministère. En fait, le ­ministre Luc Chatel s’est surtout dépêché de réagir à une proposition de Ségolène Royal, présidente socialiste de ­Poitou-Charentes. En effet, celle-ci a décidé, en novembre, de mettre à disposition des infirmières scolaires et des assistants sociaux de sa région des « pass contraception ». Soit des carnets de tickets comparables à ceux dont disposent les centres de planification et qui permettent aux jeunes de payer médecin, analyses médicales et pharmacie. Le gouvernement pouvait-il rester silencieux devant l’impact de cette proposition et l’émotion déclenchée par les grossesses précoces ? Sur les 200 000 interruptions volontaires de grossesse qui ont lieu en France chaque année, 6 % concernent des mineures, un ­chiffre en augmentation. En 2007, 12 560 jeunes filles de 15 à 17 ans ont avorté, et 850 de moins de 15 ans.

« Les enjeux politiques dépassent l’intérêt des jeunes dans ce débat, estime Christine Mauget, du Planning familial de Poitou-Charentes. Mais il permet de reposer la question de l’autonomie des jeunes et du regard social sur leurs pratiques sexuelles. » Car, interroge cette militante, que fait une mineure en Lozère ou dans la Vienne en cas de doute après un rapport sexuel non protégé ? « Sûrement pas 30 kilomètres à mobylette pour se rendre dans un centre de planification. » Et si la loi du 4 juillet 2001 l’autorise à aller voir un médecin de manière anonyme pour obtenir un contraceptif, reste le coût de la consultation et du médicament, remboursé sur la Sécurité sociale des parents. Les chèques contraception permettent aux jeunes de s’affranchir de cette autorité parentale. « C’est bien une décision politique, commente Christine Mauget, qui a déclenché une levée de boucliers morale, car la sexualité des jeunes dans notre société, c’est le plus tard possible ! »

« Tout ce qui favorise l’accès à la contraception est une avancée pour les jeunes filles » , se félicite Sandie Cariat, infirmière scolaire dans l’Hérault et membre du syndicat Snics, qui cite aussi la pilule du lendemain à l’école, mesure que Ségolène Royal a fait adopter en 2000 ; la récente surpilule du lendemain (EllaOne), qu’on peut prendre jusqu’à cinq jours après le rapport ; et une disposition de la loi Hôpital, patients, santé et territoires de 2009 qui autorise les infirmières scolaires à renouveler des prescriptions de contraceptifs.

Les infirmières scolaires (6 800 en France et à temps plein dans les ­collèges) sont souvent les premières personnes que les mineures viennent trouver en cas de risque de grossesse. « On les oriente vers les centres de planification, mais elles n’y vont pas toujours, explique Sandie Cariat. Nous permettre de distribuer ces pass est un moyen d’améliorer leur accompagnement. » Il en existe ­d’autres, comme des systèmes d’accords entre des centres de planification et des médecins de ville. « Ce qu’on pourrait reprocher au dispositif de Ségolène Royal, c’est son côté “tout pilule”, glisse Christine Mauget. Alors que nous sortons au Planning d’une campagne de trois ans sur le thème : la meilleure contraception, c’est celle que l’on choisit. » Et de battre en brèche l’idée selon laquelle étendre la contraception aux plus jeunes pourrait mettre à mal les politiques de prévention. « L’usage du préservatif est intégré, soutient Sandie Cariat. Les jeunes filles qui demandent la pilule sont assez responsables pour utiliser des préservatifs jusqu’à ce qu’elles jugent leur relation assez stable pour passer à la pilule. » La pilule ne ferait donc pas d’ombre au préservatif mais il y aurait, entre le temps de l’un et le temps de l’autre, un vide pendant lequel une grossesse précoce pourrait survenir. Un phénomène plus complexe qu’il y paraît.

« Notre société envoie des messages contradictoires, souligne Christine Mauget. Les femmes doivent faire carrière mais aussi avoir des enfants. Certaines jeunes filles aux perspectives professionnelles limitées trouvent dans la grossesse un statut de mère valorisant. La grossesse précoce peut devenir un projet en soi pour s’affirmer au sein de la famille ou du cercle social. » Et les grossesses non choisies ? Manque d’éducation et d’information, martèlent ces professionnelles. L’éducation à la sexualité, inscrite au programme des écoles, se concentre sur trois séances par an en troisième. « Il en faudrait davantage et généraliser à tous les niveaux !», insiste Sandie Cariat. Et comment accompagner les jeunes déscolarisés ? Leur seul recours gratuit reste le Planning familial. Encore faut-il qu’ils puissent trouver un centre ou une permanence dans leur périmètre immédiat.

Société
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