Cher Bernard, …

Politis  • 11 février 2010 abonné·es
Cher Bernard, …
© Photo : Frederick Florin / AFP

Quoi, Bernard ? Tu n’as que 65 ans ? Moi qui roule vers les 75, depuis le n ° 1 de Politis,
je t’ai toujours pris pour mon grand frère. Je continuerai.

Jean Thévenard, Nancy


Je suis confus que mon courrier « Où va Bernard Langlois », paru dans Politis n° 1086, ait provoqué autant de réactions. Je ne peux rester sans réagir après la réponse de Bernard dans le dernier numéro, « Révérence », où il annonce l’arrêt de son bloc-notes. Je le remercie infiniment pour sa franchise, la rigueur de son jugement, le détail de ses motivations, et les liens qui nous unissent, l’équipe de Politis , les journalistes et les lecteurs.
Je voudrais dire et préciser que mon intention dans mon courrier n’était pas de souhaiter son départ (que je regrette), ni qu’il triche (comme il le dit), ni qu’il renonce à ses analyses (d’apparence pessimiste), ni qu’il tergiverse encore. Je voulais simplement exprimer un encouragement, pour nous tous, à ne pas renoncer à la lutte sous toutes ses formes contre cette société libérale et pour un autre monde, sans mettre en cause Bernard, encore moins l’accuser de désertion. Je regrette de ne m’être pas bien fait comprendre (je n’ai pas son talent). Il écrit, entre autres, « qu’il n’a pas à rougir de son parcours après quarante-sept ans de journalisme » . Qu’il se rassure, nous lui disons qu’il peut en être très fier. Il nous a tant donné et apporté à tous pendant toutes ces années. Nous pouvons lui souhaiter un plaisir à vivre ô combien mérité, dans son jardin, dans ses lectures, dans sa nature. Nous savons aussi qu’il sera très utile à travers le blog sur le site de Politis. Merci Bernard pour tout. Bon courage. Apprécie ce calme nécessaire. Le meilleur pour toi !

Fernand Landraud


Du haut de mes 71 ans, je tire un coup de chapeau à Bernard Langlois, qui nous tire sa révérence : je l’imaginais au moins de mon âge, ce gamin de 65 ans que je lis dans Politis depuis le n° 1… Bon, j’admets sa lassitude et j’essaierai de suivre son « blog-notes » qu’annonce Denis Sieffert dans le post-scriptum à son bel édito. Merci d’avance à Politis de publier souvent, sur papier, des extraits des bla-bla de Bernard… J’ai plaisir à me souvenir d’un des plus beaux slogans lus en Mai 68 à Paris : « Il faut enfoncer les portes ouvertes, elles se referment » … Cela a de l’avenir, sûr !

Rémi Begouen


Mais il a raison, notre « B. L. » (c’est un peu le mien… et je le partage bien volontiers !), de mettre en cause les dirigeants syndicaux qui ne font plus de syndicalisme, puisqu’ils dirigent en bons dirigeants qu’ils sont et non en syndicalistes qu’ils ne sont plus. Le mot « dirigeant » est employé à juste titre. L’individualisme est contagieux, et ce n’est pas étonnant qu’il y ait de moins en moins de syndiqués ! Non, il ne déserte pas, B. L., il a le courage de faire un constat juste, précis et clair. Ça dérange et c’est très bien […]. Je suis ravie de lire systématiquement en premier le BN de B. L., je suis ravie de ses coups de gueule et de la résistance qui lui sied à merveille pour ne pas entrer dans le langage soporifique, comme la plupart des médias et la soupe qu’ils nous servent dans leurs JT chéris. Révérence, B. L., et je ne peux pas imaginer que, dans les prochains Politis, ne figure pas de billet. Tiens, Villepin vient d’être relaxé… Et notre ami, ou plutôt votre ami, Denis Robert, qui lui non plus ne s’en laisse pas conter… Et le jour de l’anniv du Tsar Cosy ! Je comprends votre ras-le-bol, mais ôtez-moi un doute : pas vous ! Certes, la vallée de la Sioule et du Sioulet vous réserve encore des moments que vous n’imaginez même pas, tant cette Creuse limousine est envoûtante, avec ses bistrots d’hiver du plateau de Millevaches aussi. Et puis ce n’est pas encore les vacances, mais reste le temps de l’aventure !

Liliane Bribet, Limoges


Merci Bernard ! Merci et bravo ! La lecture de Politis commençait toujours par ton bloc-notes, cela va nous manquer ! Ton humour, tes analyses, on appréciait. […] À notre niveau, nous avons participé à un certain nombre de tes combats ; pour l’essentiel, nous avons partagé tes raisons d’être pessimiste, mais nous ne voulons pas abandonner l’espoir d’un monde meilleur ! Pourquoi ? Les enfants, les petits-enfants, la foi peut être ?
Nous voyons trop autour de nous cette pandémie de lassitude, de découragement qui décime nos associations et autres lieux de solidarité. C’est peut-être dans un de tes BN que nous avons lu cette phrase : « Le silence des pantoufles peut être plus terrible que le bruit des bottes. » Mais je me doute que, même si tu laisses ta page de Politis , tu seras présent autrement. Alors gardons les braises pour passer l’hiver, le printemps finit toujours par revenir.

Jean-Pierre et Annette Onno


Venant de commencer ma lecture de Politis (je suis abonnée depuis ses débuts) par votre bloc-notes, c’est une belle tristesse qui m’envahit à l’idée de ne plus retrouver votre plume. Certes, je respecte votre décision, mais je tenais à témoigner que le bloc-notes était pour moi l’endroit de la saine colère, de la sincérité, de l’empêche-de-tourner-en-rond, de la dénonciation du consensus mou… Une petite musique tellement différente des médias ordinaires. Loin de me démobiliser, la lecture du bloc-notes était revigorante.
J’espère que la transmission de votre exigence s’est faite, et je vous souhaite de profiter de ce si beau paysage creusois que j’ai connu autrefois.
Bien à vous

Françoise Billot


Comment ne pas comprendre
– et partager – la lassitude de Bernard Langlois de voir cette « autre gauche » ne pas réussir à s’unir, ne serait-ce que pour donner une perspective, un espoir de changement, une dynamique susceptible de convaincre des indécis, des déçus des mobilisations antérieures… Et pourtant Politis s’est tellement mobilisé pour !
Je me rappelle les propos d’Yves Salesse ou de Clémentine Autain à Aubagne lors du lancement de la campagne pour une unité de la gauche de la gauche lors de la présidentielle. Nous y avons cru. Puis la logique de parti, à court terme, a pris le pas sur toute autre considération. Cette grande et historique erreur politique pourra-t-elle seulement être rattrapée un jour ?
Merci Bernard.

Christian Pons, Aix-en-Provence


Cher Bernard,
Ta « révérence » est digne et belle… Elle suscite le respect, la sympathie et, pour ma part, plus encore de l’empathie. Il y a vingt-deux ans, en même temps que Politis, naissait un autre journal, Lien social  ; tous les deux jumeaux puisque tous les deux paraissant le jeudi. Pour Lien social, journal dont la devise à l’époque et pour quelques années sous la direction d’André Jonis, un fondateur tout comme toi, devait être « un journal fait par des éducateurs pour des éducateurs » , j’ai signé pendant vingt-deux ans une chronique hebdomadaire sous le pseudonyme de Lucien Bargane. Et, tout comme toi, cher Bernard, certes un tout petit peu plus tôt que toi, j’ai signifié mon « au revoir » dans le n° 954, du 17 décembre. Je voulais aller jusqu’au n° 1000 et puis le doute et la lassitude face aux temps présents sont venus mettre un point final plus tôt que prévu. Ce n’est pas rien, vingt-deux ans d’un exercice solitaire et régulier […].

Tu es venu nous dire que tu t’en vas en plein vent mauvais… Je suis venu te dire que même si les larmes n’y peuvent rien changer, ton écriture fut un acte de résistance utile. Un modèle. Devant mes étudiants, futurs éducateurs professionnels, j’évoque souvent ce temps où, tout nouveau dans le métier de formateur, je faisais la route entre Lyon et Marvejols, en Lozère. Aux beaux jours, je m’arrêtais près des tombes des résistants qui jalonnent les routes pour lire les noms inscrits et les âges, surtout. Beaucoup de jeunes, souvent de moins de 20 ans, sont morts sans jamais savoir que la France serait libérée de l’occupation nazie et que leur sacrifice ne serait en rien inutile. Aujourd’hui où, jusqu’au plus haut de l’État, « se servir » prime sur le souci de « servir », et dans une époque où nul ne s’engage plus sans avoir préalablement calculé son intérêt, il me semblait bon que quelques plumitifs, comme toi et moi, fassent de la résistance. Je pars prendre une direction d’école de travail social… à Marvejols, justement. Je fais taire ma chronique par souci d’un certain devoir de réserve. J’agirai autrement. Toi tu délaisses le papier pour alimenter un blog (journal de bord). J’aime ce support de communication. Sa mise en réseau rappelle les stratégies de l’ombre. Alors, cher Bernard, merci. Merci pour hier, merci pour demain. Et bonne route…

Philippe Gaberan


Par paresse, par pudeur, par crainte de ne pas être au niveau, je n’ai jamais écrit aux journaux.
Nous sommes ainsi des milliers, et tant mieux pour les journalistes qui n’ont pas que ça à lire. Mais, au nom de tous ces anonymes feignants, mes frères, j’aimerais vous remercier pour l’ensemble de votre œuvre, du jour où vous avez classé l’accident de bagnole monégasque au rang des faits divers jusqu’au dernier bloc-notes que l’on attendait avec régal, enfants pas sages qui commençaient le repas politisien par le dessert.
C’est sûr qu’il nous manque déjà, ce petit rendez-vous où vous savez cultiver l’art des propos dissonants, détonants, toujours propres à provoquer chez le lecteur des réactions animées. Au fond, je me suis toujours demandé si ce n’était pas ça qui vous intéressait le plus : la réaction du locuteur, et l’échange, et la discussion. On vous aurait qualifié de grand communicant, si la communication n’était pas désormais une idée mercantile. Et cette dernière lettre reçue d’un syndicaliste un peu dérangé dans ses convictions (je suis moi-même dans ce cas) vous aura permis de trouver un beau prétexte pour partir avant l’heure. Comment vous en tenir rigueur ? Moi qui suis parti en vitesse à 58 ans grâce à une petite opportunité à saisir, je serais bien mal placé pour une critique.
Au contraire ! Bienvenue chez ceux qui prennent du temps, qui regardent la vie avec moins de contraintes et de stress lié au turbin… Alors, si vous passez dans le coin, vous pouvez nous rendre visite. Ma femme est une écouteuse de Bertin depuis le commencement, et nous aimons bien les gens du Limousin.

Yves Arnaud, Mauzé-sur-le-Mignon (79)


Ce petit mot d’amitié et de camaraderie à la suite du bloc-notes de Bernard dans lequel il nous fait savoir qu’il se tire, avec sa révérence, et sans tambour ni trompette. Je suis certain de ne pas être le seul à « prendre acte » de cette décision avec regret et nostalgie. Pour être à peu près de la même génération, et pour avoir suivi l’aventure du journal depuis le premier numéro ou presque, ce changement dans mon petit confort me percute. Car c’est un confort d’ouvrir chaque semaine un journal qu’on trouve « bien » parce qu’il nous ressemble, et de commencer sa lecture soit par l’éditorial de Denis, soit par le bloc-notes de Bernard. Ainsi « cadré », je pouvais poursuivre la lecture intégrale du journal, en « sautant » le minimum.
Bernard fait état d’une certaine lassitude. Certes, notre génération militante n’a pas « changé la vie », et elle n’a pas fait émerger « un autre monde ». Mais elle a maintenu, avec d’autres, la circulation des idées, elle a passé le témoin, elle a porté l’espoir repris par de plus jeunes, elle a contribué à la survie de débats démocratiques, elle a freiné le rouleau compresseur libéral.
Ce n’est qu’un début, le combat continue (même si c’est avec d’autres car on court moins vite !).
You are not a poor lonesone cow-boy. Et salut à l’équipe.

Gérard Gourguechon


Respect, Bernard ! Quelle plume ! À la revoyure quand même. J’ai (presque) 10 berges de plus que toi (pardonne-moi le tutoiement, mais je n’arrive pas à vouvoyer quelqu’un dont je me sens si proche depuis si longtemps, depuis bien avant Politis ). Je comprends et j’adhère à ton état d’esprit actuel, fait d’une lassitude profonde et de l’envie quelque peu « égoïste » d’aspirer à « la retraite de la retraite », tout en pratiquant une militance de proximité. Place aux jeunes, en effet. Sans illusion, tant ils sont les premières victimes de l’individualisme où la cynique société contemporaine les plonge. Par ailleurs, ne doit-on pas s’efforcer – quand même – d’adhérer à l’optimisme d’un Hervé Kempf, qui prédit, constat à l’appui, la fin du capitalisme, devenu le diable dans l’incapacité où il est, depuis l’effondrement de l’URSS, de diaboliser l’autre. Il a bien trouvé le terrorisme comme repoussoir, sans s’interroger sur ses causes, mais ça l’fait pas vraiment…
Allez, profite bien, Bernard, mais fais-nous part quand même de temps en temps de tes indignations. Je te fais confiance là-dessus.
Fraternité.

Michel Delépine, Élancourt (Yvelines)


Aussitôt que le dernier bloc-notes de Bernard parut en ligne sur notre site, affluèrent des messages d’internautes. En voici quelques-uns.

28 janvier 09:05, par AL1 Bon… eh bien je vais faire comme si je n’avais rien lu ce matin, ma journée ne va pas être tout à fait comme je l’avais imaginé, d’l’a bise, Bernard !


28 janvier 09:25, par Patrick Barni Merdre alors, fait chier, putain, bordel.


28 janvier 10:18, par Didier
Je suis né en 1963, quand vous écriviez vos premiers papiers, je me souviens de vous au JT, puis à « Résistances », ovni télévisuel qui paraît si engagé aujourd’hui. C’est pour vous suivre que je me suis abonné à  Politis , avec le grand bonheur de trouver, enfin, un support à mes idées, de rencontrer une famille : avec ses désaccords, ses débats enflammés. Depuis toutes ces années, j’ai toujours lu votre édito ou votre bloc-notes en premier. Alors vous voir nous quitter comme ça aujourd’hui m’attriste forcément […]. Je ne vous connais pas, mais, ayant des amis en Creuse, dans la région Centre, je voudrais témoigner qu’ils me parlent souvent de vous et des soutiens que vous apportez à de nombreuses luttes locales, régionales. C’est ça aussi, « cultiver son jardin » et, franchement, cela ne manque pas de noblesse !
Alors un grand merci Bernard et, j’en suis sûr, à bientôt !


28 janvier 17:58, par Gregorio
1963, 47 ans, c’est aussi mon cas. Lire l’éditorial, ensuite le bloc-notes, cela faisait partie d’un rite. Quelque chose d’agréable, de structurant, d’éclairant… J’essayais de lire les romans ou essais recommandés, sans jamais être déçu. Mais Politis continuera d’être mon compagnon de route.
Merci, Bernard Langlois.
Bon vent !


29 janvier 14:12, par Emmanuelle Clément Je comprends très bien et le message du lecteur et ta réaction, Bernard (j’ai pris la douce habitude de tutoyer les gens que je ressens comme proches, ici, en Martinique). J’ai adoré lire tes chroniques mais, depuis quelque temps, j’avais peur qu’elles ne renforcent mes désillusions, mon découragement face à la situation politique (dont le dernier et non le moindre est le vote des Martiniquais contre la minuscule parcelle de début d’autonomie qu’ils pouvaient choisir). Il y a trop de bonnes raisons d’avoir envie de baisser les bras, face aux tendances politiques dont nous sommes les jouets, pour qu’il soit bon qu’un vaillant et sincère journaliste comme toi nous les dise semaine après semaine, dans notre journal militant favori ! […] Je suppose que rien ne t’empêchera de publier une tribune dans Politis quand tu auras des nouvelles réjouissantes à annoncer, de petits et combien précieux combats locaux gagnés. Je crois que notre seule issue valable est le combat local, la création de systèmes parallèles, seul contre-pouvoir possible à la suprématie des pouvoirs financiers. Alors, allons combattre et cultiver notre jardin (en bio, bien sûr !). Et merci, vraiment merci, de tous ces magnifiques articles que tu nous as concoctés, toutes ces années, de ton engagement, ta parole gouailleuse ou tendre, ta culture…


31 janvier 15:07, par Bernard Viguier Merci M. Langlois ! Vos articles m’ont toujours donné à réfléchir, et en amont, on le sentait, il y avait du boulot, des références irrévérencieuses, pas de courbette devant quiconque, tout ça avec un sacré punch, un direct qui tapait sec, sans jamais se tromper de cible, jamais du côté des « grandes sœurs (ou frères) des riches » , comme le disait un autre « rustique » (?) qui avait lui aussi du style, Jacques Prévert… Bon, on va être un peu plus seuls ; des comme ça, il n’y en a pas beaucoup ! Mais il y aura le blog !


31 janvier 16:52, par Françoise
Fallait bien que ça arrive un jour !
N’empêche, je suis triste de savoir que je ne pourrai plus me jeter sur les dernières pages de Politis pour y lire votre BN et me sentir moins seule. Vos analyses, votre plume, vos conseils de lecture, tout ça va terriblement manquer à Politis . Merci et bon vent.


31 janvier 22:16, par Sandra
Le jeudi soir, « petit plaisir » : Politis dans ma boîte ! La première chose : aller lire Bernard Langlois ! Sérieux, je suis une « jeune » lectrice de votre hebdomadaire et, depuis des mois, j’apprécie ce parler franc, ce regard intelligent sur notre pays, sur le monde. […] Alors, je l’ai relue plusieurs fois, sa « Révérence », et ça m’a donné envie de chialer. J’ai envie, moi, que ceux qui ne veulent pas de la soupe qu’on nous sert s’expriment, gueulent, montrent leur malaise.
Alors, merci Bernard, et bon vent à vous !


Gauche optimiste et gauche pessimiste

Les dieux de la gauche ont voulu que le jour même où paraissait mon essai sur le pessimisme et l’optimisme au sein des familles de gauche, Bernard Langlois annonçait sa décision de tirer sa révérence pour ne pas désespérer davantage Billancourt… Je ne sais pas qui aura raison finalement de Bernard ou de ceux qui continuent à croire dans un futur rouge. Ce que je sais, c’est que ces deux postures ont plusieurs siècles d’existence, que la gauche est nativement partagée – comme chacun de nous peut l’être d’ailleurs – et que ce partage doit bien peu à la psychologie des acteurs et beaucoup plus au projet politique qu’ils portent. Nous sortons d’un siècle de domination d’une gauche optimiste parce que productiviste. Cette gauche productiviste avait le sentiment d’avoir le peuple et l’histoire avec elle. Cette gauche-là était optimiste car elle avait foi dans la possibilité d’une société d’abondance. Cet argument est au cœur du Manifeste du parti communiste et du Droit à la paresse (Lafargue). Cette gauche-là a été incapable de chercher le communisme ailleurs que dans le futur. Ce fut celle des lendemains qui chantent et des générations sacrifiées au nom de la bataille de la production. Cette gauche-là a fait l’éloge du capitalisme au nom des forces productives. Elle a confondu la mise au point de cette force productive humaine avec l’émancipation, sans voir que l’invention d’une classe ouvrière disciplinée ou que la victoire du grand commerce sur le petit (au nom de la socialisation) allait tuer les tendances protosocialistes du peuple. Ce productivisme de gauche a fait pourtant la preuve de son inefficacité : il produit moins bien que le capitalisme au regard des critères de la société de consommation. Il n’est à l’origine d’aucun objet spécifique et a vite refusé de proposer d’autres critères, d’autres modes de vie. Cette gauche productiviste a aujourd’hui la gueule de bois car elle est trop honnête pour promettre encore une abondance généralisée devant l’effondrement environnemental.

Cette gauche productiviste et optimiste a pourtant longtemps bataillé contre une autre gauche, une gauche populaire spontanément antiproductiviste mais foncièrement pessimiste. Cette gauche-ci a toujours eu le vin mauvais et n’a jamais cessé de cultiver son pessimisme. Celui de Rimbaud et de Lautréamont, celui de William Morris, de Siegfried Giedon critiquant la naissance de la société de consommation et les premiers mauvais produits capitalistes, celui des socialistes utopiques face à leurs échecs répétés, celui des libertaires face à ce peuple qui ne veut rien entendre, celui des marxistes hétérodoxes malades, eux, d’avoir trop compris. Adorno explique qu’Auschwitz ne serait pas un retour à la barbarie ancestrale mais le produit de la civilisation transformant la rationalité émancipatrice en rationalité instrumentale. Marcuse montre comment le capitalisme produit l’écrasement de la nature chez l’homme à travers celui de sa libido. Sartre annonce qu’on n’en finira jamais avec la rareté, donc avec la bureaucratie, Althusser explique que le communisme restera opaque puisque l’idéologie est sans histoire. Debord et Vaneigem dénoncent la société du spectacle, nouveau mode d’existence du capitalisme avec ses masses abruties par l’apaisante hypnose de leurs faux besoins, etc. Gramsci refoulera sa peur avec son « pessimisme de la raison, optimiste de la volonté ». Le constat d’un pessimisme atavique des gauches antiproductivistes est bien établi. Selon Perry Anderson (1977), il serait la conséquence d’une succession de défaites. Pour Löwy, il s’agirait de l’infiltration du romantisme réactionnaire au sein même du marxisme. Margaret Cohen aura le dernier mot en qualifiant ce marxisme de « marxisme gothique ».

Serions-nous donc condamnés à choisir entre l’optimisme d’une gauche productiviste vouée à l’échec et le pessimisme d’une gauche antiproductiviste incapable de faire rêver ? Une nouvelle gauche antiproductiviste et optimiste peut se développer sous trois conditions. Qu’elle annonce qu’elle en a fini avec le mythe de l’abondance et des pays de cocagne et qu’elle prône un socialisme de la suffisance qui pourra alors devenir un socialisme gourmand. Qu’elle accepte de tirer les conclusions de la tendance actuelle à la « démoyennisation » de la société et qu’elle y voie la possibilité d’un nouveau sujet révolutionnaire capable de porter son projet. Qu’elle ne remette pas à demain la construction d’un autre monde et qu’elle s’attache à passer des mots-obus (anticapitalisme, antiproductivisme, décroissance) à des mots-chantiers : relocalisation contre mondialisme, ralentissement contre culte de la vitesse, gratuité contre marchandisation, « prendre soin » contre « société du mépris », coopération contre concurrence, etc. Cette gauche antiproductiviste et optimiste sera celle du Verbe avant le calcul, celle du politique et de l’art avant celle de la science et de l’économie. Alors, oui, nous pourrons aller réveiller Bernard et partager avec lui les saveurs d’un socialisme gourmand.

Paul Ariès

* Auteur de La Simplicité volontaire contre le mythe de l’opulence, La Découverte, 298 p., 16 euros.

Courrier des lecteurs
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