Des taxes globales au péril du système ?

Jacques Cossart  • 18 février 2010 abonné·es

Quand, il y a plus de dix ans, Ignacio Ramonet suggéra de mettre en œuvre la proposition que James Tobin avait formulée quelque vingt-cinq ans plus tôt, il ne souleva pas l’enthousiasme des gouvernements et des institutions. En revanche, il fut immédiatement soutenu par ceux que l’on appellerait plus tard les altermondialistes. Beaucoup d’économistes iconoclastes montreront alors que la « taxe Tobin » était parfaitement faisable, et que des taxes mondiales l’étaient tout autant [[« Une fiscalité globale pour un autre monde »,
« De la fin des paradis fiscaux aux taxes globales », ]].
Ont-ils été vilipendés, ces économistes-là ! Les nombreuses démonstrations de cette décennie sont-elles enfin entendues ? On ne compte plus, en effet, les chefs d’État ou de gouvernement, les ministres, les chefs d’institutions internationales et bien d’autres qui réclament ce que le monde entier désigne maintenant sous le sigle anglais FTT, une taxe sur toutes les transactions financières, quoi ! Dominique Strauss-Kahn vient même de donner la bénédiction du FMI en affirmant qu’une telle taxe était indispensable aussi bien pour s’opposer à la spéculation que pour procurer des ressources [^2]. Au plan international, c’est le Groupe pilote sur les contributions internationales de solidarité en faveur du développement, mis en place en 2006, qui mène le bal. On trouve là 59 pays, les organisations internationales, de nombreuses ONG, dont Attac. Il a mis en place une Taskforce composée de dix personnalités et dirigée par Gordon Brown, qui s’est dotée d’un secrétariat assuré par le ministère français des Affaires étrangères. Un groupe de travail, qui en est issu, est chargé de faire des propositions à partir des travaux d’une commission de neuf experts de divers pays.
En France, Bernard Kouchner consulte les ONG ; elles se sont regroupées et sont parvenues à parler d’une seule voix, notamment pour réclamer la mise en œuvre immédiate, en raison de sa faisabilité parfaitement maîtrisée, d’une taxe sur les transactions de change sans attendre la FTT.

En face de ce Meccano compliqué, on est en droit de se demander ce que les peuples vont en obtenir. Les déficits publics accumulés pour réparer l’impéritie du système bancaire privé poussent les États à rechercher des ressources. Évoquer une fiscalité internationale fait désormais partie des conversations internationales habituelles ! Si la crise systémique est passée par là, la pression des mouvements sociaux a imposé cette solution plutôt que l’une de celles dont le néolibéralisme a le secret. Elle devra se poursuivre jusqu’au G20 de juin 2010 à Toronto, censé prendre des décisions. Avant cela, l’Union européenne doit considérer une taxe globale comme parfaitement adaptée, politiquement et économiquement, à son périmètre, qui ne porterait, dans un premier temps, que sur les transactions de change. Or, parmi les obstacles qui ont déjà été levés, il y a l’exigence fallacieuse de l’universalité. Si l’Union européenne prenait une telle décision – maintenant qu’il n’y a plus chez elle, nous affirme-t-on, de paradis fiscaux –, le reste du monde prendrait vite le même chemin. Deuxième embûche, les taux qui seront appliqués. Entre les quelques dizaines de milliards de dollars annoncés par de nombreux officiels et les centaines qui sont nécessaires, et dont la faisabilité est démontrée, il y a de la marge. Le taux qui doit être appliqué devrait pouvoir atteindre 0,1 %, produisant ainsi plus de 900 milliards de dollars. L’assiette constitue un troisième obstacle. Au-delà des ressources pour le financement des biens publics mondiaux, ce type de taxe doit être un instrument de lutte contre la spéculation. Aussi, même si une taxe sur les seules transactions de change peut servir de première étape, c’est bien une taxe sur l’ensemble des transactions financières qu’il faut, la FTT [^3]

Malgré tous les discours officiels séduisants, les mouvements sociaux doivent fermement lutter pour gagner. Aux citoyens de les y pousser ; à cette occasion, ils ne devront pas oublier que ces taxes globales doivent s’intégrer dans un ensemble de normes beaucoup plus vaste mis en œuvre dans le cadre de l’ONU. Bref, c’est un monde de droit qu’il faut, pas celui des propriétaires du capital !

 

[^2]: Frankfurter Rundschau, 2 février 2010.

[^3]: Attac reçue au FMI

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