Écologie, féminisme et petits pots

Prolongeant le débat initié dans Politis le 18 février, Corinne Morel Darleux réprouve le modèle productiviste aliénant défendu par Élisabeth Badinter, tandis que Clémentine Autain et Dominique Meda aspirent à une refonte des politiques familiales.

Corinne Morel-Darleux  • 25 février 2010
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Lors de sa journée de promotion sur les ondes de France Inter, Élisabeth Badinter a parlé d’écologie comme d’une régression sociale qui donnerait la part belle au machisme et favoriserait le retour de la « maternité naturaliste ». Même l’intervention d’Hervé Kempf n’y a rien fait. Comment expliquer un tel rejet ?
Peut-être la réticence d’Élisabeth Badinter est-elle liée au fait que celle-ci est aujourd’hui la deuxième actionnaire et la présidente du conseil de surveillance de Publicis. Cette multinationale qui assure la publicité de Nestlé ou de Pampers, et ne brille pourtant pas par le féminisme de ses campagnes. En tant qu’héritiers du matérialisme, citoyens engagés ou observateurs critiques de la société, on ne peut pas sous-estimer l’importance de ce type d’intérêts particuliers sur la manière dont une personne envisage la lutte des classes, la nature des rapports sociaux et le combat pour l’émancipation. On interprète différemment, à la lumière de cette information, qu’Élisabeth Badinter se dise « scandalisée » par l’interdiction faite aux hôpitaux publics de continuer à se faire les relais, dans les maternités, de la publicité des fabricants de biberons et de lait maternisé, qu’elle puisse trouver choquant et « régressif » de donner de la purée de brocolis plutôt qu’un petit pot industriel, ou encore de privilégier les couches lavables aux jetables…

Disons-le clairement, si le combat écologique ne doit pas être synonyme de régression sociale, il doit à coup sûr être synonyme de régression du système capitaliste et publicitaire ! C’est bien la logique d’accumulation matérielle, alimentée par la publicité et les médias, qui nous a menés dans le mur. Le productivisme, qui vise à nous faire produire et consommer toujours plus, est aujourd’hui le principal responsable de la crise sociale et environnementale. Il exploite à la fois les travailleurs et les écosystèmes pour répondre aux appétits croissants des actionnaires. La société de consommation est une forme d’aliénation moderne qui, en créant sans cesse de nouveaux besoins, nous enchaîne à la frustration du « toujours plus » jamais comblé. Pas sûr que ce soit la voie de l’émancipation.
Élisabeth Badinter va également un peu vite en besogne en associant le féministe naturaliste à l’écologie, et semble confondre écologie politique et deep ecology . Ce mouvement venu de Scandinavie, s’il combat le productivisme, le fait au nom de l’indifférenciation entre espèces et d’une « éthique environnementale » qui l’a conduit à de nombreuses dérives, sacrifiant trop souvent la justice sociale et la liberté des individus sur l’autel de l’environnement. Au contraire, l’écologie politique, en tant que lutte contre toutes les formes de domination, est aussi un combat féministe ! Partant du principe que l’émancipation ne peut passer que par le changement des rapports sociaux et culturels, l’écologie politique prend comme point de départ la critique du système, pour en arriver au nécessaire respect de l’environnement, certes, mais plus largement à un projet politique global d’émancipation individuelle et collective.

L’amalgame fait par Élisabeth Badinter procède donc au mieux d’une ignorance, au pire d’une divergence d’intérêts. Il est dangereux, car une fois de plus il procède d’un raccourcissement de la pensée critique et handicape un peu plus l’indispensable prise de conscience du fait que l’urgence sociale et l’impasse écologique sont un seul et même combat ! Assimiler l’écologie à la réaction, c’est retarder la nécessaire mobilisation pour un véritable changement de modèle de société. Qui inclut le changement des rapports sociaux et donc le combat féministe… C’est totalement contre-productif.

Si le combat féministe ne doit surtout pas être abandonné, singulièrement dans cette phase de crise sociale où l’on sait que les femmes sont les premières touchées, ne tombons pas dans le panneau qui consisterait à croire que l’émancipation des femmes passe par la distribution de publicités dans les maternités, la condamnation de l’allaitement ou des petits pots maison comme une régression. Ce serait remplacer une culpabilisation par une autre, sans s’attaquer aux fondements des inégalités hommes-femmes. D’autant que, soyons francs, qui donne le biberon et qui va au supermarché acheter les couches jetables et les petits pots aujourd’hui ?

Imaginons plutôt une autre société, faite d’égalité, où les petits pots seraient faits à base de produits de qualité, sans OGM, issus de l’agriculture paysanne et bio, commercialisés en circuits courts, permettant aux agriculteurs de vivre dignement de leur travail et conditionnés par des travailleurs auto-organisés en Scop… Voilà qui serait déjà mieux ! C’est cela que nous dit l’écologie politique. Elle nous parle de relocalisation et d’autonomie, d’intérêt général, de coopération et d’émancipation individuelle et collective. De progrès humain.
Plutôt que l’anathème, parions plutôt sur l’éducation et le développement d’un esprit critique. Les opérations de matraquage publicitaires et les discours réducteurs du type « écologie = régression » ne font pas avancer le débat. Élisabeth Badinter sait l’impact qu’elle a, il est dommage qu’elle ne l’utilise pas pour aider à la prise de conscience écologique.

* A publié l’Écologie, un combat pour l’émancipation, Bruno Leprince. Blog
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