Enthoven contre les Na’vis
dans l’hebdo N° 1089 Acheter ce numéro
Pour le cas où tu compterais au nombre des trente-cinq Françai(se)s qui n’ont pas (encore) vu Avatar, je te résume vite fait l’histoire : dans un futur indéterminé (mais qui n’est pas non plus pour demain après-midi), une multinationale terrienne, équipée comme il faut en mercenaires (genre, des marines reconvertis dans la sécu privée), colonise une lointaine planète, Pandora, où vivent les Na’vis, qui sont grands, bleus et plutôt sympas [^2], et dont le sous-sol est saturé d’un minerai dont le kilo se négocie à de tels prix que même un gars comme Henri Proglio, pourtant rompu à un certain standing, aurait de la difficulté à s’en acheter quelques milligrammes pour Noël. Et bien sûr : après avoir (brièvement) mis en balance, d’une part, la possibilité de ne pas exterminer de son prochain (fût-il grande et bleue), et, d’autre part, la coquette somme que leur rapporterait l’exploitation du conséquent gisement qu’ils ont détecté pile sous l’endroit où les Na’vis ont leur sweet home , les capitalistes font, comme ils font toujours, le choix du massacre – et vazi que je te pulvérise de l’habitat indigène, et vazi que je te fais du hachis de natifs.
Heureusement, un petit groupe d’humains, sauvant l’honneur, trahit l’Occident et rejoint la Résistance pour une riposte de type : et maintenant, tu t’en vas gentiment, space invader , ou tu préfères prendre cher dans ta face crypto-bushiste ?
Perso : j’ai adoré. (J’y suis retourné deux fois, je l’ai vu en 2D, en 3D, et si tu entends parler d’une projection en 15D, préviens-moi : j’irai.)
Bon, et à côté de ça, nous avons Raphaël Enthoven, qui a détesté ce film « débile ».
(Je savais pas qu’il faisait aussi critique de cinéma, Enthoven. Je savais qu’il était philosophe – à l’aune, du moins, des critères qui font que BHL l’est aussi –, et qu’il tenait Philippe Val pour l’un des plus hauts penseurs de son époque. [Ne ris pas, s’il te plaît : je te jure que je n’invente rien.] Mais critique de cinéma ? J’ignorais.)
Ce qui l’a ulcéré, dans Avatar , Enthoven, c’est que, « sous prétexte de dénoncer l’intolérance des hommes, le film valorise l’authenticité d’une civilisation » qu’il a quant à lui perçue comme « violente, raciste et conservatrice [^3] » , un peu comme Buffon, jadis, identifia en Laponie et Tartarie « une race d’hommes » de mœurs sauvages.
J’envahis ton pays, Mohammed. Je lui trouve, comme prévu, des richesses naturelles, je te détruis ta maison et quelques parents, histoire d’être plus à l’aise dans mon nouveau chez-moi : le mieux est que tu fermes ta gueule et que tu me remercies de t’avoir enseigné le républicanisme – ou si t’as l’intention de t’offusquer, au risque de trop valoriser le « respect des différences ^4 » ?
La critique de cinéma, finalement, quand c’est Enthoven qui s’y colle ? Ça ressemble à un projet de loi sur le rôle positif de la colonisation.
[^2]: Contrairement aux gens de l’UMP, qui sont également bleus, mais qui certaines fois sont (si) petits (qu’il leur faut se jucher sur des talonnettes) et plutôt désagréables.
[^3]: L’Express, 4 février 2010.
Sébastien Fontenelle est un garçon plein d’entrain, adepte de la nuance et du compromis. Enfin ça, c’est les jours pairs.