FSM, dix ans qu’il sème

La crise accélère la convergence des approches altermondialistes, comme l’a montré à Porto Alegre le lancement des rassemblements de 2010 pour la première décennie du Forum social mondial. Reportage.

Patrick Piro  • 4 février 2010 abonné·es
FSM, dix ans qu’il sème
© Photo : Bernardes/AFP

Lancement réussi pour le Forum social mondial 2010. Du 22 au 29 janvier, 35 000 personnes ont participé à plus de 500 manifestations dans l’agglomération de la ville brésilienne de Porto Alegre. Elles inauguraient une série de près de quarante rassemblements qui se tiendront dans une vingtaine de pays tout au long de l’année avec le logo des 10 ans du FSM.

Porto Alegre, qui a présidé à la naissance du forum en 2001, avait la prérogative de tirer le bilan d’une décennie d’existence de cet espace d’élaboration d’alternatives au néolibéralisme en présence de la plupart des têtes pensantes qui l’ont accompagné depuis l’origine.
« Le forum est parvenu à fonder une nouvelle culture politique face aux défis qui se posent à l’humanité, une intelligence collective originale ­capable d’appréhender leur dimension planétaire sans perdre le lien avec l’échelle locale » , estime Cândido Grzybowski, directeur de l’Institut brésilien d’analyses sociales et économiques (Ibase).
Le trait le plus salué de cette nouvelle culture, c’est l’agrégation continue d’acteurs très divers, issus des luttes sociales, économiques, écologistes, culturelles, politiques, etc.

Le forum a ébranlé les certitudes de la « vieille gauche », comme la décrivent plusieurs orateurs. « Il nous a mis face à nos contradictions, se félicite la militante féministe uruguayenne Lilián Celiberti, coordinatrice du mouvement latino-américain Articulación feminista marcosur. L e FSM a prouvé que le dialogue pouvait être une construction politique, en nous convainquant que la lutte anti-impérialiste est insuffisante si elle ne s’exerce pas aussi contre le racisme, le sexisme, le patriarcat, la destruction de la planète, l’individualisme, etc. »

Cette ouverture a permis au rassemblement altermondialiste de séduire largement au-delà de ses bases d’origine – l’Europe et l’Amérique latine. « Avant le FSM, nombre de nos organisations n’avaient pas de connexions internationales, relate Raffaella Bolini, de l’équipe dirigeante du mouvement social italien Arci. Aujourd’hui, des rencontres s’organisent sous l’égide du forum jusqu’au Moyen-Orient ! En dix ans, il a imposé dans un public de plus en plus large l’idée d’une nécessaire transformation du monde. En 2001, on en était loin… »

Ces avancées sont pour beaucoup le fruit de la « méthode FSM », caractérisée par l’auto-organisation des débats, l’absence d’organe directeur ou de déclarations qui l’instaureraient porte-voix autoproclamé de la société civile, etc. Une frange des altermondialistes (notamment les mouvements sociaux) estime pourtant depuis longtemps que le FSM devrait prendre des initiatives et passer à l’action. « Nous avons réussi à déstabiliser l’idéologie néolibérale, mais pas ses politiques, argumente João Pedro Stédile, l’un des dirigeants du Mouvement des paysans sans terre (MST, Brésil). À part l’appel contre la guerre en Irak, en 2003, nous n’avons pas réussi à élaborer de mobilisations de masse susceptibles de changer la donne. »

Pour Chico Whitaker, l’un de ses plus ardents défenseurs, le FSM mourrait rapidement s’il renonçait à ce statut de « place publique ». « C’est parce qu’il a été préservé des enjeux de pouvoir qu’il a pu s’affirmer comme cet espace unique permettant des réflexions foisonnantes et la constitution d’alliances nouvelles » , précise-t-il.
Sous l’effet de la crise mondiale, de nouvelles convergences se sont manifestées à Porto Alegre. Comme l’appropriation naissante de la philosophie du « bien-vivre » des populations indigènes (latino-américaines notamment), encore inconnue de la grande majorité des altermondialistes avant le forum de Belém de 2009. Cette vision holistique, qui mêle harmonie avec la nature, équité, solidarité et respect des autres générations, « est une approche totalement anticapitaliste, reconnaît Daniel Pascual, coordinateur du mouvement paysan guatémaltèque Comité unidad campesina. Nous l’avons adoptée comme une avancée stratégique. »
*
La lutte pour la justice climatique, fer de lance des mobilisations du sommet de Copenhague, a aussi pris sans difficulté ses quartiers à Porto Alegre, où les mouvements ont déjà en ligne de mire le prochain sommet climat de l’ONU à Mexico fin 2010.
Surprenante également par sa rapidité, la montée d’une critique du « développement », notamment de la part de militants du Sud. *« Toujours plus de barrages, d’exploitation minière, de déforestation, c’est un processus devenu mortifère »,
insiste le sémiologue bolivien Gustavo Soto.
Pilier de l’altermondialisme, le débat contre la marchandisation du monde s’enrichit, avec la défense d’un corpus de « biens publics mondiaux » non privatisables, et l’intérêt montant du principe de gratuité – pour des services, usages, etc.

Enfin, la nécessité de transformations personnelles devient un lieu commun, exacerbant d’anciens réflexes à la vie dure – à la tribune de Porto Alegre, une majorité de « quinquas », blancs, mâles. « Nous, les vieux, il est temps qu’on passe la main. La bataille du forum, c’est aussi mettre en pratique les principes que nous défendons… » , reconnaît Cândido Grzybowski, qui souligne qu’à Belém 34 % des participants avaient moins de 24 ans.

Monde
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