« Il aurait mieux valu cibler »

Patrick Dubreil* dénonce l’absence de concertation qui a dominé durant la campagne de vaccination, et souligne l’influence grandissante des laboratoires.

Ingrid Merckx  • 11 février 2010 abonné·es

POLITIS : Les médecins généralistes ont désormais la possibilité de vacciner contre le virus H1N1. Le vaccin sera même en vente en pharmacie à partir du 15 février. Pourtant, le gouvernement n’a cessé de répéter que la vaccination par la médecine de ville n’était matériellement pas possible, et la première vague épidémique est passée. Y a-t-il une raison médicale à cette évolution ?

Patrick Dubreuil : Depuis que je peux vacciner contre ce virus dans mon cabinet, aucun patient ne me l’a demandé ! La grippe A n’est plus d’actualité, les gens s’en moquent, après avoir eu peur. Nos cabinets sont encombrés par des boîtes de masques inutilisés… L’intérêt du gouvernement, c’est d’écouler les stocks de vaccins et de communiquer en direction des généralistes avant les régionales.

Pour le Syndicat de médecine générale, le déclenchement de l’alerte à la pandémie de grippe A constitue « l’un des plus grands scandales sanitaires de ce début de siècle ». Les médecins généralistes ne se sentent-ils pas un peu « les dindons de la farce » ?

Complètement. Mais les pouvoirs publics nous ignorent ou nous méprisent depuis des années. Nous n’avons pas les moyens de nous impliquer dans une réelle politique de santé publique ! Par exemple, nous disposons de peu de données épidémiologiques sur nos bassins de population et nous peinons à travailler de manière pluridisciplinaire dans des réseaux. Les généralistes et le personnel soignant sont globalement sous-employés. La campagne de vaccination contre la grippe A s’est mise en place sans concertation, le gouvernement a dépensé beaucoup d’argent dans une logistique paramilitaire et n’a écouté qu’une partie des « experts »…

Les soupçons de conflits d’intérêt sont à l’origine du lancement d’une enquête parlementaire sur la campagne de vaccination. Qu’en pensez-vous ?

La gestion de l’épidémie de grippe A H1N1 a fait apparaître l’ampleur de l’influence des laboratoires pharmaceutiques sur les gouvernements. Les médecins aussi subissent cette influence, ce qui grève les dépenses de l’assurance-maladie. Les laboratoires dépensent 30 000 euros par an et par médecin pour envoyer des visiteurs médicaux dans nos cabinets. Nous devons nous tenir au courant des dernières innovations thérapeutiques, mais tant que les visiteurs médicaux ne seront pas indépendants (statut et formation inclus), l’influence des labos sera grande.

Pourquoi les médecins se sont-ils montrés si confus vis-à-vis du vaccin ?

Au début de l’épidémie, personne ne savait à quoi s’en tenir, même les chercheurs. Les médecins ont reçu l’information au fur et à mesure. Ensuite, une grande majorité d’entre eux ne disposent pas de source d’information indépendante, contrairement, par exemple, à ceux qui sont abonnés à la revue Prescrire  [^2] ou qui se ­forment à la SFTG [^3]. Dans ma région, nous sommes une trentaine à nous réunir une fois par mois sur notre temps de travail, et bénévolement, pour une séance de formation indépendante, près de Nantes.

Peut-on dire aujourd’hui si le vaccin était nécessaire ?

posteriori, sur le plan médical, je pense qu’il fallait vacciner, parce que certains malades sont morts alors qu’ils étaient jeunes et en bonne santé. Pour ma part, j’ai surtout conseillé le vaccin aux femmes enceintes, aux malades atteints de pathologies chroniques, notamment respiratoires… J’ai renvoyé vers des sources d’information telles que Prescrire, le Formindep  [^4] et Pratiques  [^5]. J’ai conseillé les mesures d’hygiène et j’ai dédramatisé, mais je n’ai prescrit aucun antiviral. Reste qu’une vaccination ciblée aurait été préférable à une vaccination de masse.

[^2]: Prescrire ([>www.prescrire.org]) informe les professionnels de santé et les patients sur les médicaments, les stratégies thérapeutiques et les diagnostics.

[^3]: La SFTG est une société indépendante de formation thérapeutique pour les généralistes.

[^4]: Le collectif Formindep () défend « une formation et une information médicales indépendantes au service des seuls professionnels de santé et des patients ».

[^5]: Pratiques est une revue indépendante sur la médecine et les sciences humaines ().

Société
Temps de lecture : 4 minutes

Pour aller plus loin…

« Aujourd’hui, le nouveau front, c’est d’aller faire communauté dans les territoires RN »
Entretien 22 novembre 2024 abonné·es

« Aujourd’hui, le nouveau front, c’est d’aller faire communauté dans les territoires RN »

Auteur de La Colère des quartiers populaires, le directeur de recherches au CNRS, Julien Talpin, revient sur la manière dont les habitants des quartiers populaires, et notamment de Roubaix, s’organisent, s’allient ou se confrontent à la gauche.
Par Hugo Boursier
Les personnes LGBT+, premières victimes de violences sexuelles
Étude 21 novembre 2024 abonné·es

Les personnes LGBT+, premières victimes de violences sexuelles

Une enquête de l’Inserm montre que de plus en plus de personnes s’éloignent de la norme hétérosexuelle, mais que les personnes LGBT+ sont surexposées aux violences sexuelles et que la transidentité est mal acceptée socialement.
Par Thomas Lefèvre
La santé, c’est (avant tout) celle des hommes !
Santé 21 novembre 2024 abonné·es

La santé, c’est (avant tout) celle des hommes !

Les stéréotypes sexistes, encore profondément ancrés dans la recherche et la pratique médicales, entraînent de mauvaises prises en charge et des retards de diagnostic. Les spécificités féminines sont trop souvent ignorées dans les essais cliniques, et les symptômes douloureux banalisés.
Par Thomas Lefèvre
La Confédération paysanne, au four et au moulin
Syndicat 19 novembre 2024 abonné·es

La Confédération paysanne, au four et au moulin

L’appel à la mobilisation nationale du 18 novembre lancé par la FNSEA contre le traité UE/Mercosur laisse l’impression d’une unité syndicale, qui n’est que de façade. La Confédération paysanne tente de tirer son épingle du jeu, par ses positionnements et ses actions.
Par Vanina Delmas