La dernière chance du thon rouge
Le thon rouge de Méditerranée sera peut-être bientôt classé parmi les espèces menacées.
dans l’hebdo N° 1088 Acheter ce numéro
C’est une victoire amère pour les défenseurs du thon rouge de Méditerranée : en voie d’extinction pour cause de surpêche intensive, il a enfin des chances réelles d’être classé à l’annexe I de la Convention de l’ONU sur le commerce des espèces menacées (Cites) lors de la réunion des 175 pays membres à Doha, du 13 au 25 mars, ce qui en interdirait tout commerce international. France, Italie, Espagne : les pays d’attache des principales flottes de thoniers senneurs, ces usines à draguer le poisson, n’y sont pour rien. Pendant des années, ils ont participé au fiasco des instances de gestion de l’espèce, bataillant pour entraver l’application de quotas de pêche raisonnables, tout en fermant longtemps les yeux sur les infractions régulières de leurs flottes. C’est la principauté de Monaco qui a pris l’initiative de demander le classement protecteur, arme radicale qu’agitaient depuis quelques mois les associations écologistes en désespoir de cause.
Il y a une semaine, la proposition a reçu le soutien de la commission environnement du Parlement européen, à une écrasante majorité de 95 %. L’Italie a donné la première un signal de reddition, en envisageant un an de moratoire de la pêche industrielle, et même le soutien à l’inscription sur l’annexe I – qui vaut interdiction de commerce pour trois ans au moins. L’Espagne fait toujours la sourde oreille. Mais le gouvernement français, qui a tergiversé pendant des semaines, vient d’indiquer sa préférence pour la protection intégrale, lâchant Bruno Le Maire, ministre de l’Agriculture et de la Pêche, qui bataillait pour un simple classement en annexe II, soit un encadrement de la pêche par quotas – déjà magistralement mis en échec ces dernières années.
La situation des pêcheurs menaçait d’être intenable à très court terme, malgré les aides de Bruxelles au désarmement des thoniers : les thons rouges, dont le nombre a été divisé par cinq en deux décennies, pourraient voir leur population s’effondrer en Méditerranée dès 2012.
Les campagnes d’opinion ont aussi fini par peser : en France, 65 % des sondés se disent favorables à l’interdiction totale de la commercialisation de l’espèce, qu’appliquent déjà plusieurs distributeurs comme Auchan, Carrefour et Casino. Les consommateurs ne seront pourtant guère touchés par la disparition du thon rouge, déjà presque introuvable sur les étals – 80 % des prises sont exportées vers le Japon, marché extrêmement rémunérateur.
La position de la France devrait emporter celle de l’Union européenne, précieuse pour atteindre la majorité des deux tiers requise à Doha.
Le gouvernement français souhaite cependant négocier son ralliement contre un sursis de douze à dix-huit mois (deux saisons de pêche !), et des exemptions en faveur des pêcheurs artisanaux, dont les prises sont mineures. Une préoccupation sociale au raccroc, à la mesure d’une gestion de la crise dans une urgence terminale. Les pêcheurs ont déjà annoncé « du bordel sur les quais » si l’annexe I est votée à Doha. En plein scrutin des régionales…