La Syrie est de retour

Longtemps « paria », Damas, qui joue un rôle pivot dans la région, est aujourd’hui courtisé.

Richard Labévière  • 25 février 2010 abonné·es
La Syrie est de retour
© Photo : Guay/AFP

En accomplissant son chemin de Damas – le dernier voyage d’un Premier ministre français remonte à 1977 –, François Fillon s’était fixé comme objectif « d’élever nos relations commerciales au même rang que notre relation politique » . Il est vrai que la France n’est que le 15e fournisseur et le 14e investisseur d’une Syrie qui affiche une croissance annuelle de quelque 3 %. Pays économiquement émergent, la Syrie retrouve progressivement l’importance diplomatique de sa géographie proche-orientale : celle d’un pays pivot sans lequel rien de durable ne peut se négocier ni se faire.

Accompagné d’une trentaine de chefs d’entreprise et de trois ministres, François Fillon a signé un contrat pour la vente de deux avions ATR (27 millions d’euros) et un protocole d’accord pour une partie de l’extension de l’aéroport de Damas. La négociation est amorcée pour un développement de centrales solaires, et l’appel d’offres pour la construction du métro de la capitale. Les sanctions américaines en vigueur depuis 2004 bloquent d’autres dossiers, notamment celui de la vente de 14 Airbus, pour laquelle un protocole est conclu depuis 2008. Cette affaire pourrait bénéficier d’un prochain dégel…

« On a beaucoup critiqué le choix de la France. Je me réjouis qu’il soit aujourd’hui imité par les États-Unis » , a souligné le Premier ministre français faisant allusion à un autre chemin de Damas, emprunté trois jours plus tôt par William Burns, le numéro 3 du Département d’État américain. Le 17 février dernier, Damas a accordé ses lettres de créance au nouvel ambassadeur américain Robert Ford, tournant ainsi la page d’une brouille de sept ans.

Alors que la Commission d’enquête des Nations unies sur l’assassinat de l’ex-Premier ministre libanais Rafic Hariri s’est discréditée en accumulant des faux témoignages et que quatre généraux libanais accusés d’être pro-syriens ont dû être relâchés faute de preuves, la diplomatie syrienne a su desserrer l’étau pour revenir au premier plan. Son chef, Walid Mouallem, a profité du sommet arabe de Damas (29 et 30 mars 2008) pour faciliter l’élection du nouveau président ­libanais, Michel Sleiman (25 mai 2008), pour initier des pourparlers avec Israël par l’intermédiaire de la Turquie et pour s’attacher les parrainages du Qatar et, dans une moindre mesure, de la France.

Le « grand retournement » opéré depuis la visite de Bachar al-Assad à Paris, en juillet 2008, peut s’expliquer de trois manières : la volonté sarkozyste de tourner la page des années Chirac et de son amitié avec Rafic Hariri ; une autre volonté du même d’atténuer son tropisme pro-américain et pro-israélien ; enfin, une troisième volonté d’occuper une place – peu ou prou – laissée vacante par la diplomatie américaine.
Alliés à des potentialités économiques de « petit tigre » proche et moyen-oriental, ces différents effets conjugués ont replacé la Syrie au centre du jeu. Entre la Turquie, l’Irak, l’Iran, la péninsule arabique et la Méditerranée, la Syrie s’inscrit à la convergence de trois segments stratégiques.

Le premier ramène à l’épicentre de l’arc de crises régionales. En digne successeur d’Hafez al-Assad, l’actuel président syrien a toujours lié la résolution du volet israélo-palestinien à celui de la libération du plateau du Golan dans le cadre des frontières de 1967 et de l’application de la résolution 242 des Nations unies. Cette continuité explique le soutien logistique et politique de Damas au Hamas palestinien et au Hezbollah libanais. Le deuxième concerne l’axe Damas/Téhéran, qui ne s’est jamais démenti depuis la guerre Iran/Irak (1980-1988). Sur ce terrain, les chancelleries occidentales se font encore beaucoup d’illusions sur des actions concertées visant à distendre, sinon à transformer ce partenariat, qui demeure l’une des priorités stratégiques de la Syrie. Enfin, l’entente avec la Turquie permet non seulement de régler des dossiers bilatéraux cruciaux (Kurdistan, l’eau, etc.), mais aussi de s’assurer un parrainage politique doublement porteur, tant en direction de l’Europe que de l’ancienne aire d’influence turkmène.

De fait, la question n’est plus de chercher à savoir quand la Syrie s’éveillera mais bien d’accompagner un réveil qui s’accélère depuis le printemps 2008.

Monde
Temps de lecture : 4 minutes

Pour aller plus loin…

« Pour Trump, les États-Unis sont souverains car puissants et non du fait du droit international »
Vidéo 17 janvier 2025

« Pour Trump, les États-Unis sont souverains car puissants et non du fait du droit international »

Alors que Donald Trump deviendra le 47e président des Etats-Unis le 20 janvier, Bertrand Badie, politiste spécialiste des relations internationales, est l’invité de « La Midinale » pour nous parler des ruptures et des continuités inquiétantes que cela pourrait impliquer pour le monde.
Par Pablo Pillaud-Vivien
Avec Donald Trump, les perspectives enterrées d’un État social
Récit 17 janvier 2025 abonné·es

Avec Donald Trump, les perspectives enterrées d’un État social

Donald Trump a promis de couper dans les dépenses publiques, voire de supprimer certains ministères. Les conséquences se feront surtout ressentir chez les plus précaires.
Par Edward Maille
Trump : vers une démondialisation agressive et dangereuse
Analyse 17 janvier 2025

Trump : vers une démondialisation agressive et dangereuse

Les règles économiques et commerciales de la mondialisation ayant dominé les 50 dernières années ont déjà été fortement mises en cause. Mais l’investiture de Donald Trump va marquer une nouvelle étape. Les échanges économiques s’annoncent chaotiques, agressifs et l’objet ultime de la politique.
Par Louis Mollier-Sabet
À Hroza, en Ukraine, les survivants tentent de se reconstruire
Reportage 15 janvier 2025 abonné·es

À Hroza, en Ukraine, les survivants tentent de se reconstruire

Que reste-t-il quand un missile fauche 59 personnes d’un petit village réunies pour l’enterrement d’un soldat ? À Hroza, dans l’est de l’Ukraine, les survivants et les proches des victimes tentent de gérer le traumatisme du 5 octobre 2023.
Par Pauline Migevant