La tarification, enjeu électoral
De l’abonnement à tarif unique au tout gratos, en passant par le billet à un euro, les listes rivalisent de propositions pour développer l’usage des transports en commun.
dans l’hebdo N° 1091 Acheter ce numéro
Demain, on transporte gratis ! Ou presque. Dans la campagne électorale actuelle, pas une région n’échappe au débat sur la tarification des transports publics. De la zone unique au tout gratos, en passant par le billet à un euro, les listes rivalisent de propositions pour développer l’usage des transports en commun. Et ainsi répondre à une double préoccupation, écologique et sociale. Écologique parce que le tout-automobile asphyxie les villes et menace la planète. Sociale parce que les dépenses liées aux transports grèvent inégalitairement le budget des familles. En Île-de-France, elles représentent 7 % du budget d’un ménage parisien, contre 25 % de celui des ménages vivant en banlieue.
Sur la base de ce constat, le Front de gauche et Europe Écologie suggèrent de ne plus prendre en compte les distances dans le calcul du coût de l’abonnement mensuel des usagers franciliens des transports en commun, qui peut atteindre 123,60 euros. Une zone unique remplacerait les six zones actuelles, avec un tarif unique de 56,60 euros. Le Nouveau Parti anticapitaliste réclame, lui, « la gratuité partout et pour tous ».
« Notre motivation n’est pas de surenchérir » , se défend Rafik Qnouch, 27 ans et candidats NPA aux régionales à Paris, partisan d’ « une écogratuité qui, à l’inverse de la taxe carbone, ne pénalisera plus les pauvres » . Selon lui, cette utopie d’une démarchandisation du service public portée par les revendications sociales et un brin d’idéalisme « n’a rien d’irréalisable » . Certes, les régions ne peuvent pas financer seules cette mesure. Il faudra donc remettre à contribution l’État, qui a transféré la compétence transports aux régions sans leur fournir de moyens supplémentaires.
Outre les millions d’euros d’économie en matériel et en monétique, le NPA compte également compenser le coût de la gratuité en élevant de 50 à 100 % la participation financière des entreprises « qui profitent des infrastructures comme, par exemple, les centres commerciaux » . Une taxation à contre-pied du système, mais assumée par ce jeune militant convaincu qu’aucune politique écologique n’est possible sans remise en cause du capitalisme.
Plusieurs villes, de gauche comme de droite, dont l’agglomération d’Aubagne en 2009, ont déjà opté pour la gratuité et en tirent un bilan positif au regard de l’augmentation de fréquentation durable des transports en commun. L’expérience est-elle pour autant généralisable ? Non, répond Pascale Le Néouannic, du secrétariat national du Parti de gauche. Selon elle, il est impossible de revendiquer la gratuité « pour toutes les régions tant qu’il n’y a pas une majorité gouvernementale qui présente une volonté de compenser son coût en revoyant la fiscalité des entreprises ».
Car le coût de la gratuité diffère d’une région à l’autre. Sur le réseau TER languedocien, la gratuité prônée par la liste conduite par René Revol (PG) coûterait 8 millions d’euros. En Île-de-France, le coût de la mise en place de la zone unique sur le seul réseau SNCF est estimé à 350 millions.
« Nous devons recréer des mécanismes de redistribution des richesses.
Accorder la gratuité dans les régions où les employeurs participent au financement des transports [ce qui est le cas en Île-de-France, NDLR] signifierait exonérer encore plus les entreprises et porter l’ensemble des charges sur les collectivités » , tranche Pascale Le Néouannic.
Du côté des écologistes, pas question d’élargir la gratuité au-delà des publics en extrême précarité. « La disparition des recettes serait dramatique pour les régions, organisatrices des transports» au moment où les investissements nécessaires pour remettre en état le réseau grimpent en flèche, argumente Jean-Pierre Girault, chargé des transports pour Europe Écologie. De plus, soulignaient les Verts dans un rapport rédigé en 2005, déprécier c’est déresponsabiliser !
Incompatible avec l’exigence de qualité de service, la gratuité favoriserait gaspillages et dégradation. Un argument que réfute Rafik Qnouch, persuadé qu’il n’est avancé que éviter de remettre en question le système : « Dès que les gens se réapproprient un service devenu vraiment public, l’expérience nous montrent qu’ils le protègent et non le contraire. »
« La tarification n’est pas le problème essentiel des transports, assurait récemment Jean-Paul Huchon sur Radio-Orient. Ce que les gens veulent, ce sont des trains qui arrivent à l’heure, soient réguliers, climatisés, confortables et sécurisés.» Le président socialiste de la région capitale ne propose d’étendre la gratuité, déjà accordée aux chômeurs et aux RMIstes, qu’aux seuls jeunes en insertion. À le croire, il faut choisir entre la qualité et la zone unique, qui n’a pas ses faveurs : « Pourquoi voulez-vous que quelqu’un qui fait deux arrêts paie autant que quelqu’un qui fait 60 km ? C’est quand même un petit peu extraordinaire ! »
Injuste, la « zone unique » ? Jean-Paul Huchon suggère néanmoins de l’instaurer, le week-end, pour les abonnés uniquement, quand Europe Écologie propose, en plus de la zone unique, un ticket à un euro, soir et week-end. Proche de la gratuité, la formule du ticket unique à bas prix – un euro, voire moins – avancée par différentes listes dans l’Hexagone, comme celle de Georges Frêche en Languedoc-Roussillon, présente un intérêt douteux puisque la gestion de billetterie et de monétique génère des coûts bien supérieurs aux maigres recettes. Ce que les partisans de la gratuité ne se privent pas de souligner.