Le secteur des transports embourbé
Premier émetteur de gaz à effet de serre, le secteur des transports reste un point noir du Grenelle de l’environnement, qui butte sur les mesures à adopter. Les régionales en vue n’arrangent rien.
dans l’hebdo N° 1091 Acheter ce numéro
Exit le péage urbain ! La prudente disposition qui en aurait autorisé la simple expérimentation, et pour les agglomérations de plus de 300 000 habitants, vient de sauter la semaine dernière lors de l’examen de la loi Grenelle 2 en commission du développement durable à l’Assemblée nationale [^2].
Le gouvernement y était favorable. La secrétaire d’État à l’Écologie, Chantal Jouanno, en faisait un argument de campagne pour les régionales, où elle occupe la tête de liste UMP à Paris : les péages urbains sont parvenus à une réduction nette de la circulation automobile de 20 % dans plusieurs villes d’Europe.
Mais la plupart des élus locaux redoutent des ennuis à la pelle avec leurs administrés, à plus forte raison à l’approche d’un scrutin local. L’amendement de suppression a d’ailleurs été présenté par des députés communistes, qui détiennent plusieurs villes en région parisienne : le péage parisien est perçu comme une mesure égoïste et impopulaire frappant essentiellement les banlieusards, alors que les transports en commun sont saturés. Ces derniers ont beau avoir gagné en dotation, il faudra attendre des années avant que les investissements ne produisent leurs effets.
Cette passe d’armes est révélatrice de l’engluement du secteur transport : premier émetteur de gaz à effet de serre (26 %), il doit les avoir réduits de 20 % dans dix ans, selon la loi Grenelle 1 ; mais c’est aussi l’un des dossiers les plus bloqués.
Autre démonstration, avec le Schéma national des infrastructures de transport (Snit), qui a « disparu de la circulation » : la loi Grenelle 1 prévoyait que l’État publie, fin 2009, cette liste des réseaux à développer – route, train, canaux, aéroports, etc. Rien à l’horizon, s’inquiètent les associations, qui ne sont plus consultées depuis une dizaine de mois. Elles redoutent que le Snit, dossier très chaud, ne soit prudemment maintenu sous la table jusqu’à la fin des scrutins de mars. « La liste bouge sans arrêt, souligne Olivier Louchard, qui suit la question pour le Réseau action climat. Depuis plus d’un an, tous les élus locaux font le siège du ministère de l’Écologie pour plaider la cause de leur bout d’infrastructure. »
Aux dernières nouvelles, la liste secrète comporterait la création de l’aéroport de Notre-Dame-des-Landes (Loire-Atlantique), très critiqué par une partie de la population, mais soutenu par presque tous les élus UMP et PS. De même, de nombreuses nouvelles portions d’autoroute, théoriquement remises en cause par le Grenelle 1, sont en cours de validation, une à une, au nom « d’impératifs locaux » très subjectifs.
Autres points noirs : l’autorisation possible des énormes remorques de 44 tonnes sur les routes françaises ; ou encore la construction de lignes ferroviaires à grande vitesse (LGV), dont une bonne partie de l’intérêt écologique serait annulée par la disparition de petites liaisons locales, synonyme d’un surcroît de voitures sur les routes. La réforme du fret ferroviaire risque fort d’avoir un effet similaire : l’abandon du « wagon isolé » susciterait annuellement 2 millions de trajets supplémentaires de camions dans les régions.
Ce qui n’a pas empêché le ministre de l’Écologie d’inclure « l’engagement national pour le fret ferroviaire » au bilan 2009 de la loi Grenelle 1, publié la semaine dernière : « 88 % des objectifs qui devaient être réalisés avant la fin 2009 ont été tenus. » « Du blanchiment écologique gouvernemental ! Jean-Louis Borloo, grand communicateur, transforme le plomb en or… Il s’agit surtout d’annonces de lancement » , brocarde Yves Cochet. De fait, à peine un quart des 268 mesures du Grenelle 1 devaient être engagées avant fin 2009.
Le député Vert est cependant parvenu, « à [sa] grande surprise », à faire passer en commission développement durable un amendement qui contraint les projets de lignes à grande vitesse et autoroutes de l’État à se rendre compatibles avec les schémas régionaux de cohérence écologique. Ces « trames vertes et bleues » visent à préserver les écosystèmes, « un objectif qui semble tenir à cœur au gouvernement, dans cette année de la biodiversité ».
Ce qui ne devrait guère freiner le développement des infrastructures. Ainsi, moyennant un surcoût de 15 %, l’autoroute A65 Pau-Langon, pourtant objet d’une des résistances les plus opiniâtres de France, renverse un à un les obstacles sur sa route. L’État y vante un « standard post-Grenelle » en raison de l’attention portée aux zones écologiques traversées. La région Aquitaine en rajoute, faussement candide, avec la création d’un fonds qui « compensera » cinq ans de CO2 émis pour la construction de l’A65 – mais pas un euro pour les décennies de circulation qu’elle générera ensuite !
[^2]: Examen en séance prévu le 3 ou le 24 mai.