Les femmes donnent de la voix
Deux films présentés au Fipa abordent des thèmes tabous en Iran : la virginité et le fait,
pour une femme, de chanter en public.
dans l’hebdo N° 1089 Acheter ce numéro
La caméra suit les visages de près, d’une femme à l’autre. Elle accompagne. Elle recueille les paroles dans des pièces fermées. D’une part, un tribunal ; d’autre part, une salle d’attente de sage-femme. Les mots se cherchent, butent, hésitent. Pas facile de s’exprimer sur la virginité en Iran. Ou plutôt sur les conditions de sa propre virginité, ses obligations, ses conséquences. Tahereh Hassanzadeh (née en 1974) a d’abord été sage-femme diplômée avant de se tourner vers le cinéma. Présenté dans la rubrique « Grands reportages et faits de société », ce quatrième film de la réalisatrice (après deux documentaires et deux fictions), Bakereh , signifiant « vierge » en persan, pose justement la question de la virginité des jeunes femmes iraniennes et raconte en mots simples et efficaces la nécessité pour elles de la conserver jusqu’au mariage dans un pays où le mariage peut être annulé pour tromperie, sans aucune compensation pour la femme.
Au fil des témoignages, Tahereh Hassanzadeh rend compte du poids psychologique que fait peser le régime pour maintenir cette tradition. Pour les mollahs, la virginité est le capital de la femme. Une tradition qui se perpétue au mépris des femmes, de leurs droits, de leur sexualité. Au reste, les conditions même de la réalisation du film disent l’oppression régnante. D’une autorisation à l’autre, du ministère de la Guidance aux tribunaux attachés aux divorces, avec les risques d’interdiction encourus, Bakereh a nécessité deux ans de tournage. La réalisatrice est parvenue à réunir les fonds nécessaires grâce au financement d’un festival (4 000 dollars seulement). Forcément, de son premier métier au choix du film, la réalisatrice fait le lien : « Probablement, sans l’exercice de ce métier, je n’aurais pu imaginer l’humiliation subie par toutes ces femmes qui viennent chercher un financement, une adresse pour une reconstruction de l’hymen, laquelle coûte très cher, au-delà de 1 500 euros, et se pratique dans la clandestinité et la culpabilité. »
En Iran, cette question de la virginité touche « toutes les classes sociales, poursuit Tahereh Hassanzadeh, d’une génération à l’autre, parce que, dans une certaine mesure, les mères, perpétuant la tradition, se vengent de leur propre souffrance ». In fine, on s’en doute, et la question taboue est effleurée dans le film, les femmes vivent dans l’obligation de la sodomie pour préserver leur virginité. On s’en doute aussi : Bakereh ne sera pas diffusé en Iran.
Avec Torang Abedian, qui présente son sixième film, Na Yek Tavahom, le sujet est en apparence tout autre. En apparence seulement. Ce solide documentaire brosse le portrait d’une jeune femme, Sara, choriste et chanteuse au sein du groupe Piccolo. C’est aussi elle qui mène le tempo dans ce groupe de rock. Avec un bémol : la loi islamique iranienne interdit aux femmes de chanter en public, même pour une prière. Toute participation à un concert nécessite l’autorisation du ministère de la Culture et de l’Orientation islamique. Après quoi, c’est affaire de ténacité, leitmotiv du film. Qui s’ouvre sur I Will Survive , de Gloria Gaynor, repris par Sara. Le succès de Gaynor rythme le passé et le présent de Sara. Un rythme de déterminations plurielles.
La réalisatrice ajoute des images d’archives familiales sur son « personnage », des images déterminantes, justement : Sara est une ancienne gymnaste de haut niveau. Le corps cassé à la suite d’un accident, la démarche définitivement brinquebalante, appuyée sur deux béquilles.
Dans Na Yek Tavahom, la caméra est au diapason du sujet. Elle piaffe d’impatience, trépigne, s’accroche. Fil conducteur, de studio en concert, de répétitions en réflexions, le rock a valeur de rébellion. I Will Survive se vit comme une identification. « C’est à l’image de notre société, on survit », commente Torang Abedian, qui n’a pu compter que sur des aides personnelles pour monter son film, dont la réalisation s’est étirée sur six ans, entre 2003 et 2009. « L’argent, c’est le diffuseur. Et le diffuseur, c’est l’État, qui décide selon ses idées. La marge est donc très courte. »
Reste l’envie chez la réalisatrice de faire son film, loin des clichés iraniens, concentrés toujours sur les mélodrames, « parce que la musique est un refuge et une fenêtre sur le monde, une source de joie. Il s’agissait de raconter la jeunesse actuelle, de rendre cette énergie ». Une énergie qui s’inscrit à rebours du régime iranien actuel. Pas de hasard alors si le film s’achève sur une coupure d’électricité.