Quelle police pour demain ?

Le syndicat SUD Intérieur* plaide pour un service public de sécurité sous tutelle du ministère
de la Justice et contrôlé par des instances indépendantes.

Politis  • 4 février 2010 abonné·es

Politis a tenté d’esquisser ce que pourrait être la police de demain (n° 1086). Or, depuis les années 1980 (avec une accélération après le 11 septembre 2001), le chemin pris par les gouvernements successifs, y compris ceux classés à gauche, va dans un tout autre sens que celui évoqué par les auteurs du dossier. Révision générale des politiques publiques, obsession du ­chiffre, perte d’acquis sociaux, répression syndicale, baisse des effectifs… Les salariés du ministère de l’Intérieur, policiers compris, sont durement touchés par les politiques régressives du gouvernement.

La situation peut ­paraître paradoxale tant les policiers sont montrés du doigt comme ayant la bride lâchée. En outre, l’administration policière fait tout son possible pour répondre aux exigences de rentabilité du pouvoir. On pourrait penser que les policiers en sont récompensés, mais ils ont une tout autre appréciation de la situation. La perte continuelle d’acquis sociaux, la pression qu’exercent sur eux la culture du résultat et les rapports tendus avec certaines catégories de la population, amenant un regain de violences (qu’elle soit subie par les fonctionnaires ou de leur fait, qu’elle soit légitime ou illégitime), sont une grande partie des problèmes que les policiers doivent gérer. Loin d’une certaine bienveillance, voire d’une certaine euphorie, qui a pu accueillir Nicolas Sarkozy à son arrivée place Beauvau, ce sont des sentiments de gâchis et de confiance trahie qui prédominent au sein de la police.

Il paraît indéniable que les policiers se sentent victimes d’un système qui les dépasse, où médias et politiques jettent en pâture à l’opinion les défaillances de certains. Quelques « brebis galeuses » en somme, fort utiles puisqu’elles viennent masquer les défaillances du système lui-même. De « méchants policiers » face aux jeunes des quartiers populaires, caricaturés car mal connus, montrés comme les « nouvelles classes dangereuses ». Ce qui ne fait qu’attiser la haine de l’État et de la société envers la jeunesse et les immigrés. Ironique et tragicomique quand on sait que, du côté de cette jeunesse, c’est aussi la haine qui prévaut. Policiers et jeunes des quartiers populaires sont enfermés dans un cercle vicieux. Ce n’est qu’un exemple parmi d’autres.

L’illusion d’un corps de police formant un bloc uni derrière le pouvoir, en bon chien de garde du système, se doit d’être combattue. Elle relève plus du préjugé utile que de la réalité et nuit à une réflexion de fond sur la police. Il ne s’agit pas de nier les problèmes posés par l’institution policière, notamment par son fonctionnement, certaines de ses missions ou encore les abus de certains fonctionnaires de police, ce que SUD Intérieur dénonce depuis sa création. Mais il ne faudrait pas oublier l’utilité de cette institution, ses difficultés, le savoir-faire et le professionnalisme de la majorité des policiers dans un contexte sécuritaire difficile où le pouvoir tend à vouloir effacer l’humain et le discernement au profit du rendement automatisé.

Dans ce contexte, il paraît urgent d’engager une réflexion globale sur la police d’aujourd’hui et celle que nous voulons pour demain. Des pistes sont déjà développées ici ou là, mais le plus souvent dans un relatif anonymat et partiellement, sans prendre en compte une nécessaire refonte de l’institution ou la relation au politique. Pour autant, la réflexion ne part pas de zéro. SUD Intérieur propose, par exemple, de remplacer les structures internes de contrôle de la police : IGS et IGPN. Notre expérience syndicale nous a fait découvrir qu’elles étaient aisément instrumentalisables sur des dossiers sensibles et/ou intéressant l’autorité politique. L’idée serait d’y substituer une entité externe indépendante comprenant, par exemple, outre des policiers, des élus, des associatifs, des magistrats nommés par la pluralité parlementaire ; une entité redevable, avec pouvoir de sanction, plus compatible avec les exigences démocratiques de notre société.

Nous souhaitons aussi voir redéfinies les missions de la police aux frontières (PAF), notamment en privilégiant la lutte contre les filières de passeurs et les patrons exploiteurs. Une réforme de la garde à vue ­semble également essentielle, et SUD Intérieur a déjà eu l’occasion de défendre auprès des législateurs le fait que les auditions soient filmées pour l’ensemble des gardés à vue. Certains proposent aussi un système d’attestations qui seraient remises à chaque contrôle de police…
N’oublions pas que toutes ces propositions ne feraient sens que dans le cadre d’une réelle indépendance de la justice. De fait, pour SUD Intérieur, la police judiciaire devrait dépendre du ministère de la Justice (donc prioritairement de la magistrature) et non plus de l’Intérieur (soit de l’exécutif). Quant aux services de renseignement policiers (et militaires), un véritable contrôle parlementaire s’impose. Il existe dans nombre de pays sans préjudice majeur, et il est honteux que nous restions si loin d’une telle garantie démocratique. Il s’agit aujourd’hui, loin des débats réducteurs, de réfléchir sans tabou à ces questions et d’élaborer des pistes pour améliorer le service public de la sécurité, tout en n’oubliant pas que seul le dépassement de la régression libérale et, au-delà, du carcan oppressif généré par le capitalisme ouvrira la voie à la société sans aliénations à laquelle, en tant que syndicalistes, nous aspirons.

Société
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