Rwanda : la France est-elle coupable ?
Un livre à paraître bientôt analyse le rôle joué par la France dans le génocide au Rwanda. L’auteur dresse un constat sévère mais ne conclut pas à « la complicité de génocide ». Une thèse différente est soutenue par l’association Survie. Nous livrons ici les termes du débat.
dans l’hebdo N° 1089 Acheter ce numéro
Nous rouvrons cette semaine le dossier rwandais, peu de temps après le voyage de Bernard Kouchner à Kigali. Une visite qui mettait un terme à trois années de rupture diplomatique entre les deux pays. Mais nous rouvrons le dossier aussi parce que, dans quelques jours, un livre événement va paraître sur le sujet [^2], dont nous avons pu consulter de larges extraits. Nous avons longuement rencontré son auteur, André Guichaoua, professeur à Paris-I, chercheur, spécialiste de cette région de l’Afrique depuis trente ans, et expert auprès du Tribunal pénal international (TPIR) d’Arusha. Il était à Kigali en avril 1994 au moment du déclenchement du génocide. Nous avons aussi recueilli l’analyse de Claudine Vidal, universitaire, spécialiste de cette région, et auteur de nombreux articles sur le génocide. On lira également dans ces pages un entretien avec Rony Brauman, cofondateur de Médecins sans frontières, qui revient sur la notion même de génocide.
Trois personnalités dont la connaissance de la région et l’intégrité ne peuvent être mises en cause, et qui jugent avec une grande sévérité l’attitude de la France, sans toutefois aller jusqu’à l’incrimination de « complicité de génocide ». Mais nous avons voulu aussi donner la parole aux tenants d’une thèse différente, l’association Survie [^3], dont nous avons toujours à Politis suivi les travaux avec intérêt. Une précision : il est question de recherche de vérité et d’intime conviction dans un dossier infiniment complexe dans lequel il serait souhaitable que l’on dépassât les logiques de camps. Mais il est aussi question d’autre chose, qui touche à la relation avec nos lecteurs. Politis est un journal engagé, mais nous ne croyons pas, sur ce sujet comme sur aucun autre, que l’engagement justifie que l’on force la réalité, fût-ce pour obtenir une « vérité » qui nous serait plus confortable. Invoquer la complexité de ce dossier, ce n’est évidemment pas nier la responsabilité première des génocidaires extrémistes hutus, produits d’un régime que la France, hélas, a soutenu trop longtemps. Mais ni la justice ni la vérité ne peuvent non plus passer sous silence les crimes commis par les vainqueurs. Or, l’horreur du génocide qui a frappé les Tutsis, d’une part, et les nécessités de real-politique, d’autre part, ont trop vite conduit à absoudre ceux qui détiennent le pouvoir aujourd’hui à Kigali.
[^2]: Rwanda, de la guerre au génocide, à paraître aux éditions La Découverte le 25 février.
[^3]: La Complicité de la France dans le génocide des Tutsis au Rwanda, Survie, L’Harmattan, 2009.