Un creuset d’idées à gauche
Un ouvrage collectif rédigé par une trentaine d’historiens relate les trente ans d’existence du PSU en s’intéressant à ses militants et à ses implantations locales.
dans l’hebdo N° 1088 Acheter ce numéro
Dans l’histoire de la gauche française, le Parti socialiste unifié (PSU) a assurément laissé une trace profonde, autant par sa réflexion souvent en avance sur son temps que par la liste étonnamment longue de personnalités intellectuelles et politiques qui sont passées par ses rangs, de Michel Rocard à Huguette Bouchardeau, de Gilles Martinet à Edmond Maire, d’Alain Geismar à Roland Castro, d’Alain Lipietz à Jean-Marie Vincent… Pourtant, aussi marquante fût-elle, l’histoire de ce petit parti n’a curieusement suscité jusqu’ici que très rarement le désir des historiens de s’en saisir comme sujet de recherche en tant que tel. Une seule entreprise de longue haleine avait bien été initiée par l’une de ses figures centrales, Marc Heurgon, professeur d’histoire passionné et longtemps dirigeant du parti, qui avait prévu de publier trois volumes d’une histoire complète du PSU. Hélas ! Après la publication en 1994 du premier tome consacré aux seules – mais ô combien cruciales – années 1958-1962, celles de « la fondation et la guerre d’Algérie [^2] » , l’historien décéda, laissant inachevée une œuvre pourtant attendue par beaucoup. Longtemps annoncée, la poursuite du projet de Marc Heurgon n’a jusqu’à présent jamais vu le jour. L’histoire du PSU n’apparaît donc que morcelée, mêlée à d’autres sujets de recherche ou narrée par bribes dans le cadre de mémoires d’anciens adhérents : on pense ici aux deux volumes de Génération d’Hamon et Rotman (Seuil), où le rôle influent de certains militants PSU est mis en lumière dans cette histoire très « people » de la contestation des années 1960 et 1970, ou, dans un tout autre registre, à la très personnelle autobiographie militante de l’historien Emmanuel Le Roy Ladurie, qui passa du stalinisme le plus sectaire dans l’immédiat après-guerre à l’engagement au PSU dans une cellule montpelliéraine [^3]
Issu d’un colloque qui s’est tenu à l’université de Rennes-II les 9 et 10 septembre 2008, l’ouvrage qui paraît aujourd’hui aux Presses universitaires de la capitale bretonne, le PSU vu d’en bas , ne vient pas complètement combler ce manque de travail historique global sur ce petit parti, qui demeura durant ses trente ans d’existence aussi atypique du point de vue organisationnel et faible en termes d’influence électorale que d’une richesse inégalée en tant que creuset d’idées à gauche. La presque trentaine de jeunes historiens qui ont composé cet ouvrage n’ont en effet pas choisi d’écrire une histoire générale du PSU mais d’en dresser un portrait en pointillé à partir de ses militants et de ses caractéristiques locales, se situant finalement assez bien dans la lignée de cette formation souvent qualifiée et même conçue comme farouchement « basiste » par nombre de ses militants, anti-jacobine, voire régionaliste. On lira donc ce recueil d’articles davantage comme un travail proche de la micro-histoire, s’attachant à observer au plus près les débats selon les époques au sein des fédérations ou de certaines professions, mettant ainsi en lumière, malgré leur faiblesse numérique, la réactivité de ce qui constituait les « réseaux » de militants PSU dans la société et face aux grosses formations politiques de la gauche traditionnelle, SFIO ou PCF. Plusieurs contributions montrent également combien le PSU fut, sur certaines questions, largement en pointe, comme les luttes de l’immigration, le droit de vote des migrants ou les droits des femmes.
Si l’ouvrage contient une première partie exclusivement dédiée à la Bretagne, « bastion du PSU », où l’on voit que la question régionale ne cesse de faire l’objet de discussions tout au long des années 1960 et 1970 (cf. les articles de Fabrice Marzin et de Tudi Kernalegenn), on suit ensuite l’évolution des débats entre les kyrielles de tendances à travers les régions françaises, et les différences d’implantation du PSU selon les secteurs professionnels, de la paysannerie au monde enseignant en région parisienne (traité dans un bel article d’Ismaïl Ferhat), ou de l’histoire des ESU (« Étudiants socialistes unifiés ») au rôle déterminant dans la lutte contre la guerre d’Algérie, comme le montre Étienne Pingaud dans une passionnante intervention.
Le PSU vu d’en bas accorde donc une place prépondérante à ses militants dits « de base », à son histoire « en régions » et à la multitude des sensibilités qui l’ont traversé. Or, ce choix délibéré des auteurs s’accorde très bien à leur objet d’étude, c’est-à-dire un parti que François Furet avait un jour qualifié avec justesse d’ « extraordinaire kaléidoscope de militants et d’idées à travers lequel on peut voir paraître à peu près toutes les traditions antagonistes du mouvement socialiste depuis la fin de la Première Guerre mondiale [^4] ». Tout en proposant en fin de volume un (incroyable !) organigramme des fusions, scissions et regroupements de tendances tout au long de l’histoire du PSU et, au-delà, de ses successeurs jusqu’aux actuels Alternatifs, ce livre entraîne le lecteur dans une sorte de voyage parmi les expérimentateurs de ce « laboratoire d’idées » que fut le PSU.
[^2]: Histoire du PSU. 1.La fondation et la guerre d’Algérie (1958-1962), La Découverte, 1994.
[^3]: Paris-Montpellier, PC-PSU. 1945-1963, Gallimard, 1982..
[^4]: Dans son article sur le livre de Marc Heurgon, le Nouvel Observateur, 13 avril 1995.