Entretien avec Attac Grèce

Face à une crise sans précédent, le gouvernement opte pour des mesures d’austérité écrasantes
pour les citoyens. Gerassimos Georgatos, porte-parole d’Attac-Grèce à Athènes, nous livre son analyse.

Clémentine Cirillo-Allahsa  • 11 mars 2010 abonné·es
Entretien avec Attac Grèce
© AFP/GOULIAMAKI

Depuis plusieurs mois, la Grèce traverse une crise d’origine financière restreignant ses possibilités d’emprunt alors même que le pays a besoin de 20 milliards pour couvrir ses échéances publiques. Sous la pression de l’Europe et des marchés financiers, le plan d’austérité annoncé par le gouvernement le 3 mars a pour conséquences le gel des retraites, la hausse de la TVA, des coupes dans les salaires de la Fonction publique, et sanctionne surtout la population. Pour protester contre ces mesures, les syndicats ont appelé à la grève générale et à une nouvelle journée de mobilisation ce jeudi.

Politis : Comment une crise d’une telle intensité a-t-elle pu se produire ?

Gerassimos Georgatos : La crise globale a désastreusement aggravé notre retard institutionnel, d’où les faiblesses et défauts structuraux de notre économie. Avec l’éclatement des bulles boursières, on a assisté à l’explosion de l’économie grecque. Celle-ci s’est construite depuis trente ans, sous les gouvernements conservateurs du parti de la Nouvelle Démocratie comme sous ceux des socialistes du Pasok, sur la base du clientélisme et à coups de mesures favorables aux seules entreprises et organisations patronales, au détriment d’un État grec fiable et efficace. Nos problèmes sont réels : avec une dette publique de 250 milliards d’euros, un déficit budgétaire important de 12,7 % du PIB pour l’année 2009 et un État inexistant, le pays s’est retrouvé sans défense face à la spéculation et aux critiques, justifiées ou non, des grands médias internationaux et européens.

A-t-on vu venir l’implosion du système ces derniers mois ?

Les gouvernements successifs se sont employés à dissimuler la réalité économique grecque, non seulement au peuple grec, mais à l’ensemble de ses partenaires européens, et ce jusqu’à ce que les vrais chiffres de l’économie soient connus de tous. Le gouvernement de Papandréou prétend qu’il ignorait le montant du déficit et de la dette grecque avant sa victoire aux élections d’octobre 2009. Ce qui est certain, c’est que salariés, retraités, chômeurs, jeunes et immigrés n’ont aucune responsabilité dans la crise qu’on veut leur faire payer.

Peut-on parler d’instrumentalisation de la crise financière grecque pour imposer le démantèlement des services publics et la libéralisation éclair de l’économie grecque ?

L’État social n’a jamais été puissant en Grèce, comme il a pu l’être ailleurs. Ces vingt dernières années, l’application de politiques néolibérales l’a affaibli davantage. La crise est une occasion, ou plutôt un alibi, qui permettra au gouvernement d’appliquer au pays le pire du néolibéralisme. La privatisation des services et biens publics va se généraliser, s’accompagnant d’une dérégulation du marché du travail. Cette politique nous mène droit dans l’impasse. Quant à l’Union européenne (UE), elle n’en profitera guère. Elle y perdra sa cohésion et la confiance de ses citoyens. C’est une erreur de penser que la mise en concurrence généralisée est la solution aux problèmes sociaux. Les seuls qui en profiteront seront les banques et les organismes financiers, et la politique continuera d’être soumise aux marchés.

Comment jugez-vous les positions de vos voisins européens ?

Que les institutionnels européens ne veuillent pas de l’intervention du Fonds monétaire international est tout à fait naturel. Cela signifierait qu’ils avouent leur échec et celui de leur politique. Symboliquement, et surtout politiquement, cela reviendrait à reconnaître la victoire des États-Unis sur l’Europe, et du dollar sur l’euro. C’est une situation dont même l’Allemagne, alors que cela renforcerait ses exportations, ne voudrait pas. Pour l’heure, son refus catégorique sur la question de l’aide communautaire à la Grèce ne mène nulle part. L’attitude de la France est peut-être celle qui témoigne le mieux de la prise de conscience de la nécessité d’une gouvernance économique et politique commune, et surtout d’une vraie volonté politique, car l’UE ne peut pas s’appuyer indéfiniment sur sa seule monnaie unique.

Quelles autres mesures le gouvernement aurait-il pu prendre pour
rééquilibrer les finances sans écraser les classes populaires ?

La logique voudrait que la priorité soit donnée à des programmes d’investissement public, ainsi qu’au maintien des salaires et à la consolidation du pouvoir d’achat, seules véritables solutions pour éviter la récession et le chômage que nous allons très certainement connaître. Tout cela demande du temps. Plus qu’un crédit financier, le gouvernement devrait demander à ses partenaires européens un crédit de temps, un délai. Au lieu de quoi, le gouvernement se plie, immédiatement et sans négociation, devant les exigences de stabilité fixée par l’UE. Nous avons besoin d’une réforme fiscale équitable, d’une augmentation des impôts sur les revenus les plus élevés, d’une taxation des profits bancaires et des transactions financières et, enfin, d’une véritable coordination paneuropéenne. Au-delà de la réforme d’un État inefficace et inopérant, c’est la réforme de l’ensemble du système de production et de développement, totalement dépassé, comme les événements le confirment, qui est nécessaire.

Comment envisagez-vous les jours à venir dans les rues d’Athènes ?

Comme un embouteillage permanent… La grogne sociale n’est pas prête de retomber, et le mouvement va être de plus en plus dur car personne n’approuve les mesures d’austérité lourdes que le gouvernement veut instaurer. La mobilisation a commencé, et les prochains rendez-vous sont pris avec les syndicats et les mouvements sociaux. Il ne fait aucun doute qu’il en sera de même dans d’autres pays européens, car les ravages causés par les politiques néolibérales ne concernent pas seulement la Grèce.

Monde
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