« Faut-il repenser nos moyens d’action ? »
La dernière réunion nationale du Réseau éducation sans frontières s’est tenue en janvier à Metz. L’occasion d’évoquer les inquiétudes récentes dans cette ville où la préfecture est particulièrement intransigeante à l’égard des étrangers.
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«Au moins 90 personnes, 25 départements représentés…» , se réjouit Isabelle. Cette enseignante à la retraite, cofondatrice de RESF à Metz, s’était chargée d’organiser, les 23 et 24 janvier, une réunion nationale du réseau dans sa ville. Il peut y avoir plusieurs réunions nationales par an. C’est informel. Lié à l’actualité : des comités locaux expriment le besoin de se réunir, certains membres lèvent la main pour coordonner. Une discussion est lancée sur une liste générale pour décider de l’ordre du jour. Et rendez-vous est pris. Jusqu’à présent, les réunions nationales ont eu lieu à Paris ou à Lyon, où les militants sont plus nombreux. Cette fois, la proposition est venue de Metz. Après le tour nécessaire des activités de chacun, les débats du week-end se sont concentrés sur les inquiétudes récentes : de plus en plus de sans-papiers se retrouvent sans toit, ou logés dans des hôtels situés dans des zones industrielles, loin des centres.
« Beaucoup disparaissent ainsi des regards, déplore Isabelle. Cette mise à l’écart volontaire des pouvoirs publics complique le travail du réseau et précarise encore davantage les sans-papiers : on a plus de mal à entrer en contact avec eux, ils ont peu accès aux commerces et aux services publics, et la police peut faire ce qu’elle veut… » Surtout : les enfants sont moins scolarisés, ce qui interpelle particulièrement le réseau. Ici ou là, des bénévoles de RESF se mettent à donner « des petits cours ». « Ça nous préoccupe, admet Isabelle. Pouvons-nous nous substituer aux services publics et aux services sociaux ? Faut-il repenser nos moyens d’action ? »
S’adapter à l’évolution de la situation, c’est un peu le mode de fonctionnement local : « En septembre 2004, de jeunes majeurs se sont adressés à nous pour une histoire de tests osseux, se souvient Isabelle. Nous faisions partie du Collectif de lutte contre la misère et avons décidé de rejoindre le Collectif des enfants sans papiers qui existait à Sarreguemines… » Le réseau est né. « Aujourd’hui, il réunit six groupes autour d’une dizaine de personnes mobilisées en permanence. En réunion plénière, on est 25. Quand on organise une manifestation au pied levé devant la préfecture, on est 80. On compte pas mal de retraités mais aussi des jeunes, des gens qui ont été choqués par la manière dont sont traités les sans-papiers. » À Metz, RESF fait de l’information sur les marchés tous les samedis, et des cercles de silence sont organisés le 30 de chaque mois. « On déclenche plutôt la sympathie parce qu’on défend des enfants et qu’on démontre l’inhumanité des arrestations arbitraires. »
Metz affiche deux particularités : un centre de rétention (CRA) de 95 places. Et une des préfectures réputées les plus intransigeantes de France. Le comité local présente une petite « spécialité » : une dizaine de ses membres rend des visites quotidiennes aux personnes retenues. « Cela arrange le chef du centre, souligne Isabelle. Ces visites sont un gage de tranquillité pour lui. Le volet juridique est assuré par l’Ordre de Malte – qui vient de remplacer la Cimade –, et nous nous occupons de tout ce qui concerne la vie privée, le lien avec les familles, l’accompagnement au moment de la libération, le contact avec les autres comités RESF… »
Entré en service en janvier 2009, après quatorze mois de travaux et plus de 23 millions d’euros de budget, le CRA de Metz est l’un des rares sur les 26 CRA de France à pouvoir accueillir les familles. Mais il retient surtout des personnes isolées, « et même des gens de passage, touristes ou commerçants dont le visa n’est pas en règle et qui restent bloqués ». Dehors, même tarif : la préfecture applique les textes tellement au pied de la lettre que de nombreux sans-papiers se retrouvent dans de véritables impasses juridiques. Entre le préfet, Bernard Niquet, et RESF, le dialogue s’est détérioré.