« Il est indispensable que RESF se renforce »
Pour l’avocate Irène Terrel*, le réseau est en équilibre
entre les résistances ponctuelles et la réflexion politique.
Il prépare le terrain à une critique de la loi.
dans l’hebdo N° 1092 Acheter ce numéro
Politis : Votre nom circule à RESF. Êtes-vous devenue spécialiste des sans-papiers ?
Irène Terrel : Je m’occupe de personnes écrasées par une institution, victimes de misère sociale ou d’exploitation, qui n’ont pas, ou peu, accès au droit. C’est un choix, une forme d’engagement. Parmi ces sans-droits, hélas, beaucoup sont sans papiers. Le droit des étrangers est un droit politique, évolutif : la loi change en fonction des gouvernements et des ministères en charge de l’immigration. Aujourd’hui, entre la massification des expulsions et le durcissement des textes, il faut renforcer les résistances, y compris par une technicité accrue.
RESF a établi une liste d’avocats avec qui travailler et une autre, d’avocats à éviter. Ce qui lui a valu un procès. Qu’en pensez-vous ?
Un de mes confrères a en effet porté plainte pour diffamation. J’ai défendu le réseau et nous avons gagné le procès. La profession d’avocat doit accepter la critique comme n’importe quelle profession. Les avocats ne sont pas intouchables. Il y en a qui s’investissent et connaissent le droit des étrangers sur le bout des doigts, et d’autres qui sont incompétents. C’est un service payant : il doit être de qualité et transparent. D’autant plus que les enjeux humains en droit des étrangers sont très lourds. La profession n’étant pas tarifée, il y a des abus d’honoraires. Il est normal que cela soit dénoncé. Les ordres d’avocats, trop corporatistes, ne sont pas assez vigilants. Les sans-papiers sont vulnérables car dans des situations de détresse et d’urgence : ils n’ont parfois que 48 heures pour déposer un recours. Cela ne va pas s’arranger : le projet de loi déposé par Éric Besson modifie encore les délais, et la France entière pourra devenir un vaste camp d’internement.
Les membres de RESF deviennent spécialistes du droit des étrangers. Est-ce selon vous une forme d’expertise citoyenne ou bien le signe d’un défaut des services de justice ?
Les avocats n’ont pas le monopole du droit. Il y a toujours eu des écrivains publics ou des associations, telle la Cimade, pour proposer une assistance juridique. En matière d’immigration, l’arsenal est mouvant et se complexifie. Il est indispensable que des structures comme RESF se renforcent pour faire face. Ce réseau n’est pas seulement l’expression d’une conscience politique mais aussi celle d’une solidarité émanant de témoins de situations intolérables : arrestations, expulsions brutales. La loi est si inhumaine qu’elle favorise le développement de résistances. François Mitterrand parlait de « la force injuste de la loi… ».
Qu’en est-il du délit de solidarité ?
Il est peu utilisé et soulève l’indignation générale. C’est un outil d’intimidation, une menace légalisée heureusement sans grand effet. Ce qui est plus inquiétant, c’est le développement de processus d’intimidation policière comme cette garde à vue subie par une militante de RESF à Paris le 15 février (voir encadré). Ces pratiques et cette législation sur les étrangers sont si attentatoires aux libertés et aux droits que la volonté d’y faire échec se radicalise. Et la prise de conscience progresse. Le travail d’action, d’information et de connaissance que fournit RESF prépare le terrain à la critique. En équilibre entre le politique et l’instantané, le réseau remporte des victoires ponctuelles auprès des personnes qu’il soutient, mais il élargit aussi le champ de la réflexion à la question : comment changer les lois sur l’immigration ? Ces lois portent en elles leur mort : tout le monde sait que la France a besoin des étrangers. C’est important que, dans la société civile, certains se chargent d’expliquer, d’informer et de lutter.