Immigration : le choix absurde de la répression
Malgré la volonté affichée par les syndicats et des organisations patronales de trouver des solutions pour régulariser les salariés sans papiers, le gouvernement s’embourbe dans une politique de sanctions.
dans l’hebdo N° 1095 Acheter ce numéro
Voilà une initiative historique qui embarrasse le gouvernement. Un projet d’approche commune adressé le 8 mars au ministère du Travail par les organisations syndicales et patronales a formulé des propositions concrètes permettant la régularisation par le travail des salariés sans papiers. Renvoyé vers le ministère de l’Immigration au motif d’une légitimité juridique sur la régularisation, il a reçu une fin de non-recevoir de la part d’Éric Besson. Pire, le 17 mars, le ministre de l’Immigration a confirmé qu’il présenterait dans les semaines à venir un projet de loi pour réprimer plus sévèrement « les entreprises employant, directement ou indirectement, des ressortissants étrangers en situation irrégulière » . Le gouvernement s’embourbe ainsi dans une voie répressive et discriminante, sans rien changer au problème auquel les entreprises font face.
Dans la législation actuelle, l’emploi des sans-papiers est un casse-tête qui fait barrage aux régularisations. L’approche commune propose donc des solutions, car la circulaire du 24 novembre 2009 n’a rien résolu. Elle laisse le traitement des demandes de régularisation à la discrétion des préfectures, qui traitent les dossiers de façon arbitraire et ignorent les contraintes de l’emploi liées aux conventions collectives. Le texte de 2009 devait, selon Éric Besson, permettre le traitement au cas par cas de 500 à 1 000 dossiers, alors que les estimations officielles font état de 200 000 à 400 000 travailleurs sans papiers !
Résultat : l’absence de critères nationaux précis rend plus difficile la régularisation et fait obstacle à l’égalité de traitement entre les salariés ainsi qu’à la lutte contre les distorsions de concurrence entre entreprises, estiment les patrons. « La circulaire de 2009 n’est pas à la hauteur des enjeux, commente Luc Béal-Rainaldy, inspecteur au ministère du Travail et secrétaire national de la FSU, et le seul moyen de “dégangréner” le problème est d’ouvrir le dialogue avec les partenaires sociaux. »
En clair, les questions de temps de travail hebdomadaire nécessaire pour la régularisation ou la nature des contrats intérimaires n’ont rien à voir avec les flux migratoires. Et, face à certaines marottes préfectorales, l’approche commune demande « de reconnaître de façon apaisée les besoins de certains secteurs d’activité » en lieu et place des listes de métiers « en tension ». Principal argument : les secteurs dans lesquels travaillent les sans-papiers (bâtiment, restauration, nettoyage, gardiennage, aide à domicile) peinent à recruter alors que ces travailleurs font déjà partie des statistiques de l’emploi. Pour les partenaires sociaux, la contrainte de nationalité, jeu de piste pour les employeurs [^2], serait également vouée à disparaître.
Mais, confrontés à l’entêtement des autorités, syndicats et organisations patronales fustigent un manque de volonté politique. Ainsi, la proposition de loi d’Éric Besson témoigne d’une obsession idéologique peu constructive. Le gouvernement fait fi d’une situation socialement et humainement dramatique pour des centaines de milliers de travailleurs. Et cette situation est aussi économiquement embarrassante pour de nombreux patrons : le projet de loi, applicable fin 2010, prévoit la fermeture administrative provisoire d’établissements, l’inéligibilité aux appels d’offres pendant une période pouvant atteindre cinq ans, et le remboursement des aides publiques reçues. Fait rare, critiqué côté patronal par la CGPME, l’UPA et le Medef, le projet de loi est également massivement dénoncé par les syndicats (CGT, Unsa, FSU, CFDT et Solidaires) et les associations, qui craignent que les salariés n’en soient les premières victimes.
Au-delà de ce semblant d’accord, « au sein du patronat, la division est forte », constate toutefois Luc Béal-Rainaldy. De fait, tous n’ont pas les mêmes intérêts. D’un côté, les petits patrons sont pénalisés et veulent une solution. De l’autre, « le Medef, en tant que représentant des grands patrons, n’a aucun intérêt à la régularisation puisque les patrons en question bénéficient de la situation sans être ni pénalement ni administrativement inquiétés » . Profitant des bas prix de la sous-traitance grâce à l’emploi clandestin, le Medef ne voit pas d’un bon œil la notion de « moralisation des donneurs d’ordre » , qui durcira les sanctions.
« Quel que soit le bilan final, il est normal que le ministère du Travail contribue à une solution sur un conflit qui dure et touche plus de 2 000 entreprises » , assure Luc Béal-Rainaldy. Et « aller jusqu’au bout de la logique du code du travail » implique le règlement de cette question. D’autant que le patronat, ici par la voix de Geneviève Roy, vice-présidente de la Confédération générale des PME, considère que « la balle est dans le camp du gouvernement » . Ainsi, l’initiative commune témoigne d’une « prise de conscience » et montre qu’il est possible « de trouver une parole commune sur un sujet compliqué » , se réjouit Francine Blanche, secrétaire confédérale CGT.
Autisme ou dialogue, reste à savoir quelle voie le gouvernement choisira dans les semaines à venir.
[^2]: Les accords entre la France et certains pays excluent de la régularisation par le travail les ressortissants de ces pays (c’est le cas des Algériens et des Tunisiens), totalement ou partiellement, en fonction de listes de 5 à 150 métiers autorisés.