L’Europe a rendez-vous à Nantes
Le festival Quartet permet à quatre compagnies de l’Est
et de l’Ouest de donner leur vision de la société d’aujourd’hui.
dans l’hebdo N° 1092 Acheter ce numéro
l’Europe théâtrale se constitue à partir de grands réseaux puissants et de réseaux modestes dont on parle peu. Le festival Quartet-Visions d’Europe, qui a lieu la semaine prochaine à Nantes mais surtout dans la ville voisine d’Ancenis, appartient à la seconde catégorie. Les échanges y sont d’autant plus forts qu’ils sont plus artisanaux et humains que politiques. Au départ, il y a la volonté de deux troupes régionales, le théâtre du Rictus et le théâtre Quartier libre, et celle de la mairie d’Ancenis : collaborer avec des équipes européennes, présenter des spectacles qui changent le regard du public. Laurent Maindon, directeur artistique du Rictus, s’est d’abord tourné vers la Hongrie, dont l’une des régions est jumelée avec la Loire-Atlantique. C’est ainsi qu’il a rencontré le théâtre Gárdonyi Géza d’Eger, puis projeté l’idée d’un festival qui irait d’un pays à l’autre. Cela ne pouvait se faire qu’avec quelques partenaires. L’entreprise s’est donc limitée, pour le moment, à la Hongrie, la France, la République tchèque et la Serbie.
Maindon pensait d’abord à un festival de classiques : montrer quatre Hamlet et quatre Cerisaie , par exemple. Mais n’était-ce pas s’adresser aux seuls spécialistes ? Les responsables des différents théâtres s’accordèrent finalement sur l’inédit, le nouveau, en choisissant la seule scène contemporaine. D’où le terme « Visions » et le parti pris de donner, à travers chaque pièce, une image de la société telle qu’elle est perçue par un auteur d’aujourd’hui. Les équipes se mirent à travailler de concert. Mais rien n’était simple. À l’Est, les théâtres, qui fonctionnent avec l’héritage du système communiste, sont d’énormes appareils. En France, ce sont des structures lilliputiennes. Ainsi, le théâtre national de Novi Sad, en Serbie, tourne avec 600 permanents. L’équipe d’Ancenis table sur trois intermittents et cinq permanents. C’est le dialogue de Goliath et David ! La Communauté européenne a apporté son soutien (40 % du financement), mais son administration tatillonne n’est pas non plus un partenaire de tout repos.
Ancenis reçoit à présent ce festival dont les premières représentations ont eu lieu dans les villes européennes associées, Cheb, Novi Sad et Eger. Le ton est donné par le spectacle de Laurent Maindon, Asphalt Jungle , de Sylvain Levey : un remarquable diptyque sur la violence opérée par la solitude et par le sadisme. Les Serbes parlent, eux, de l’exploitation des femmes qui croient trop aux contes de fées ( Un bateau pour les poupées de Milena Markovic). Les Tchèques, de deux amies confrontées à l’âge et à une société xénophobe ( Un cœur enflammé de Nawratilowa Szymczykowa). Les Hongrois, du désespoir d’une comédienne sans travail ( les Alcooliques d’András Visky).
Le festival, ce sont aussi des rencontres, des débats, des ateliers entre artistes, grâce auxquels, selon Laurent Maindon, « cette aventure est une petite bombe à retardement qui bouleverse nos académismes ». Des théâtres de Lubljiana, Barcelone et Lodz sont sur les rangs pour rejoindre prochainement le réseau. Il faudra trouver une nouvelle étiquette et renoncer au « Quartet ».